Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
167
DE LA VICTOIRE DU BON PRINCIPE SUR LE MAUVAIS

cette propriété, parce qu’il ne nous est pas donné de le connaître. Mais c’est cette liberté elle seule qui, appliquée à ce qui constitue l’objet final de la raison pratique, à la réalisation de l’idée de la fin morale suprême, nous mène immanquablement à de saints mystères[1].

Par lui-même incapable de réaliser l’idée du souverain bien (non seulement sous le rapport du bonheur qui en fait partie, mais eu égard encore à l’union nécessaire des hommes en vue du but total, alors que cette idée se trouve inséparablement liée à l’intention morale pure, et sentant toutefois qu’il est de son devoir de contribuer à cette œuvre, l’homme se trouve amené à cette croyance que

  1. Ainsi la cause de la pesanteur universelle de tout ce qui est matière en ce monde nous est inconnue, à tel point qu’on peut ‘lierne affirmer qu’on ne la connaîtra jamais, parce que déjà son concept présuppose une force motrice primitive et absolument inhérente aux corps. Et pourtant, loin d’être un mystère, la pesanteur peut être rendue manifeste pour tous, attendu que la loi en est suffisamment connue. Lorsque Newton nous la donne, pour ainsi dire, comme l’omniprésence de Dieu dans le monde des phénomènes (omni præsentia phænomenon), ce n’est pas qu’il prétende ainsi nous l’expliquer (l’existence de Dieu dans l’espace, en effet, contient une contradiction), mais c’est toutefois en vertu d’une sublime analogie, qui donne pour principe au Tout formé dans l’univers par la réunion d’êtres corporels, seule chose qu’on ait en vue, une cause incorporelle qui les unit ; et l’on procéderait de même si l’on cherchait à voir le principe autonome qui réunit en un État moral les êtres du monde ayant la raison et si l’on expliquait leur union de cette manière. La seule chose que nous connaissions, c’est le devoir qui nous pousse à cette union : mais l’effet auquel nous visons est-il réalisable, même si nous écoutons le devoir ? voila qui dépasse totalement les limites de notre vue. ― Il y a des mystères, des arcanes (arcana de la nature, il peut y avoir des mystères, des secrets (secreta), de la politique, qu’on ne doit pas faire connaître à tous ; mais les uns et les autres, étant donné qu’ils ont des causes empiriques, peuvent cependant nous être connus. Dans les choses qu’il est de notre devoir à tous de connaître (dans celles qui ont trait à la moralité), il ne peut pas y avoir de mystère, et c’est seulement dans les choses qui sont du ressort de Dieu seul et où nous ne pouvons rien par nous-mêmes, car cela dépasse nôtre pouvoir, par conséquent aussi notre devoir, qu’il peut y avoir un mystère proprement dit, c’est-à-dire un mystère saint de la religion ; il peut, nous être utile de savoir seulement qu’il existe de tels mystères et dé comprendre qu’ils s’imposent à nous, mais non point de les pénétrer.