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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

mort imméritée et en même temps méritoire[1] il eut donné dans sa personne un exemple conforme au type de l’humanité seule agréable à Dieu, il est représenté comme étant retourné au ciel, d’où il était venu, laissant ses volontés dernière énoncées (peut-on élire comme en un testament),

  1. Avec elle finit son histoire publique (celle qui peut aussi, par suite, servir universellement d’exemple à la postérité). L’histoire plus secrète, qui en est comme un appendice et qui narre des faits dont les disciples seuls ont été les témoins : sa résurrection et son ascension (qui, prises seulement pour des idées de la raison, signifieraient le commencement d’une autre vie et l’entrée dans le règne de la félicité, c’est-à-dire dans la communion de tous les gens de bien), cette seconde histoire, dont nous laissons intacte la valeur historique (ihrer historischen Würdigung unbeschadet), ne peut avoir aucune utilité pour la religion dans les limites de la simple raison ; non point parce qu’elle est un récit historique (car l’histoire qui la précède offre le même caractère), mais parce que, prise à la lettre, elle admet un concept sans doute très conforme au mode de représentation sensible des hommes, mais très gênant pour la raison dans sa croyance à l’avenir, le concept de la matérialité de tous les êtres du monde, ― matérialisme, de la personnalité de l’homme (matérialisme psychologique) qui fait du même corps la condition indispensable de la personnalité, aussi bien que matérialisme de la présence dans un monde en général (matérialisation cosmologique) qui pose en principe que la présence ne peut être que spatiale ; tandis que l’hypothèse de la spiritualité des êtres raisonnables du monde, spiritualisme en vertu duquel le corps peut demeurer mort dans la terre et la même personne être pourtant vivante, d’après lequel aussi l’homme, à titre d’esprit (en sa qualité non sensible), peut arriver au séjour des heureux sans être transporté dans un endroit quelconque de l’espace infini qui entoure la terre (et que nous appelons le ciel), est une hypothèse plus favorable à la raison, non seulement à cause de l’impossibilité qu’il y a concevoir une matière pensante, mais surtout en raison de la contingence où se trouve exposée notre existence après la mort quand elle doit uniquement dépendre de la conservation d’une certaine masse de matière ayant une certaine forme, au lieu que l’on peut concevoir la permanence d’une substance simple comme fondée sur sa nature. ― Dans cette dernière hypothèse (celle du spiritualisme), d’une part, la raison n’a aucun intérêt à traîner dans l’éternité un corps qui (du moment que la personnalité a pour support l’identité physique) doit toujours, si purifié qu’on le suppose, être composé de la même matière que celle qui forme la base de notre organisme et pour laquelle au cours de sa vie l’homme même n’a jamais éprouvé une grande affection, et, d’autre part, enfin elle ne comprend pas ce que cette terre calcaire, dont il est formé, peut bien faire au ciel, c’est-à-dire dans une autre contrée du monde où, vraisemblablement, c’est à d’autres matières qu’il appartient d’être la condition de l’existence et de la conservation des êtres vivants.