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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

des concepts, bien que le Judaïsme ait immédiatement précédé l’Église chrétienne et ait été l’occasion matérielle de sa fondation.

La croyance juive n’est autre chose, dans son institution originaire, qu’un ensemble de lois simplement statutaires sur lequel se basait une constitution civile ; les compléments moraux qui alors même ou dans la suite lui furent ajoutés ne font point partie en effet, c’est une chose incontestable, du Judaïsme comme tel. En vérité le Judaïsme n’est point une religion ; on n’y peut voir que l’association d’un certain nombre d’hommes, qui, appartenant à une race particulière, avaient constitué non une Église, mais un État régi par de simples lois politiques ; cet État devait être même purement temporel, de sorte que, si le revers des temps parvenait à le morceler, il demeurât toujours au Judaïsme cette foi politique (qui lui appartient essentiellement) qu’un jour on en verrait le rétablissement (lors de la venue du Messie). La théocratie qui est à la base de cette constitution politique (sous la forme visible d’une aristocratie de prêtres ou de chefs qui disaient recevoir immédiatement de Dieu leurs instructions), ni par suite le nom de Dieu qui, en réalité, n’est ici honoré que comme un régent temporel qui n’a ni la prétention de régner sur les consciences, ni celle d’avoir de la conscience, ne sauraient la changer en constitution religieuse. La preuve qu’elle n’a pas dû être quelque chose de tel est de la plus grande évidence. Premièrement, toutes les prescriptions sont de telle nature qu’une constitution politique peut, elle aussi, les conserver et les imposer comme lois de contrainte, puisqu’elles sont relatives exclusivement à des actions extérieures, et bien que les dix commandements, même sans le secours d’une promulgation, aient déjà, en tant que moraux, leur valeur devant la raison, cette législation n’exige pas qu’on joigne à leur observation l’intention morale (dont le Christianisme fera plus Lard l’œuvre essen-