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DE LA VICTOIRE DU BON PRINCIPE SUR LE MAUVAIS

par l’homme, reste toujours l’objet de ses pensées)[1].

Tel est donc le travail inaperçu de nous, mais toujours progressif, que fait le bon principe pour se constituer dans le genre humain, république soumise aux lois de la vertu, une puissance et un empire attestant sa victoire sur le mal et assurant au monde, sous sa domination, une paix éternelle.

  1. On peut conserver à la foi d’Église, sans l’exclure ni la combattre, son influence utile, en tant que véhicule, tout en la dépouillant, comme trop entichée du devoir cultuel, de toute influence sur le concept de la religion véritable (qui est la religion morale), et de cette manière, nonobstant la diversité des confessions statutaires, établir un rapprochement entre tous leurs adeptes au moyen des principes de la religion rationnelle unique, dans le sens de laquelle les docteurs ont à expliquer tous les dogmes et toutes les observances de ces religions différentes, jusqu’à ce que l’on puisse, avec le temps, quand aura triomphé l’Aufklärung véritable (c’est-à-dire la légalité sortant de la liberté [morale]), substituer, d’un accord unanime, aux formes dégradantes de croyances coercitives une forme ecclésiastique adaptée à la dignité d’une religion morale, c’est-à-dire la forme d’une croyance libre. ― Concilier l’unité de foi ecclésiastique avec la liberté en matière de foi, c’est un problème que nous porte continuellement à résoudre l’idée de l’unité objective de la religion rationnelle par l’intérêt moral qu’elle nous inspire ; mais nous n’avons que peu d’espoir de réaliser cette conciliation dans une Église visible, si nous interrogeons là-dessus la nature humaine. C’est là une idée de la raison qu’il nous est impossible de représenter dans une intuition pleine-ment adéquate, mais qui est cependant, comme principe régulateur pratique, douée de réalité objective pour influer sur cette fin de < concert avec* > l’unité de la religion rationnelle pure. Il en est ici comme de l’idée politique d’un droit d’État qui devrait s’accorder aussi avec le droit des peuples universel et souverain. L’expérience ici nous refuse toute espérance. En vertu d’un penchant qui semble avoir été donné (peut-être intentionnellement) au genre humain, chacun des États pris à part, quand la fortune lui sourit, tend à subjuguer tous les autres et à fonder la monarchie universelle ; mais arrivé à une certaine grandeur, il se démembre de lui-même en plus petits États. Ainsi, chaque Église existante émet la fière prétention de devenir universelle ; mais une fois qu’elle s’est propagée et est devenue dominante, bientôt apparaît un principe de dissolution et de division en sectes diverses.

    [La fusion des États trop hâtive et donc pernicieuse (parce qu’elle aurait lieu avant que les hommes soient devenus moralement meilleurs), — s’il nous est permis d’admettre en ce point une intention de la Providence — est surtout empêchée par deux puissantes causes, la multiplicité des langues et la différence des religions.]

    * Gemäss, supprimé dans la 2e édition.