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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

constances dans son action ; les défauts qui se trouveraient dans l’ordre nouveau établi par elle, seraient, quoique à regret, maintenus des siècles durant, parce qu’on ne pourrait plus y porter remède ou, du moins, parce qu’il serait impossible de les modifier autrement que par une nouvelle révolution (toujours dangereuse). ― Dans le principe de la religion rationnelle pure, révélation divine (quoique non empirique) faite continuellement à tous les hommes, doit se trouver le fondement de ce passage à un nouvel ordre de choses, et ce progrès, une fois résolu après mûre réflexion, est réalisé peu à peu par des réformes progressives, dans la mesure où il doit être une œuvre humaine ; car pour ce qui est des révolutions, qui peuvent le rendre plus brusque, elles sont abandonnées à la Providence, et l’on ne saurait sans nuire à la liberté, les amener suivant un plan.

Mais on peut dire avec raison « que le règne de Dieu est arrivé sur nous », alors même que le principe du passage progressif de la foi d’Église à la religion rationnelle universelle, et par suite à un état moral (divin) sur la terre, se borne à avoir pris racine publiquement partout ou même en un endroit, quoique l’avènement réel d’un pareil règne se trouve encore indéfiniment éloigné de nous. Car, puisque ce principe contient le fondement d’un progrès continu vers cette perfection, en lui, comme dans un germe vivant qui se développe et se multiplie dans la suite par la semence, se trouve contenu (de manière invisible) le Tout qui doit un jour éclairer et régir le monde. Quant au vrai et au bien, que tout homme, en vertu de sa disposition native, tend à connaître et à aimer, ils ne manquent pas, devenus publics, de se communiquer universellement, grâce à l’affinité naturelle qu’ils ont avec la disposition morale de tous les êtres raisonnables. Les entraves que des causes politico-civiles peuvent mettre de temps à autre à leur propagation, au lieu de les gêner, servent plutôt à rendre plus intime l’union des âmes en vue du bien (qui, une fois saisi