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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

(ou donné pour tel) de la foi que l’on y professe, se voit appeler hérétique (Ketzer)[1], surtout quand il propage son hétérodoxie, et il est réputé, en tant que séditieux, comme plus punissable encore qu’un ennemi extérieur ; l’Église l’exclut de son sein par une excommunication (semblable à celle que proféraient les Romains contre celui qui franchissait le Rubicon sans l’assentiment du Sénat) et elle le dévoue à tous les dieux infernaux. La prétention de n’admettre pour vraie, sur un point de croyance ecclésiastique, que la seule foi des docteurs ou des chefs d’une Église s’appelle orthodoxie, et l’on peut distinguer une orthodoxie despotique (brutale) et une orthodoxie libérale. — S’il faut appeler catholique une Église qui donne sa croyance ecclésiastique pour universellement obligatoire, et protestante celle qui se défend contre ces prétentions (que toutefois elle serait souvent elle-même heureuse de pratiquer, si elle le pouvait), un observateur attentif pourra trouver maints exemples célèbres de catholiques protestants et encore plus de scandaleux exemples de protestants archicatholiques ; d’un côté, d’hommes ayant acquis une largeur d’esprit (qui n’est point le propre de leur Église), et de l’autre côté d’hommes à l’esprit rétréci formant avec ceux-là un contraste frappant, mais aucunement à leur avantage.

  1. Les Mongols nomment le Thibet (selon Gregorius, Alphab. Tibet., p. 11) Tangui-Chadzar, c’est-à-dire le pays des gens qui se logent dans des maisons, voulant par là les distinguer d’eux-mêmes qui vivent en nomades, sous les tentes, dans les déserts ; telle est l’origine du nom de Chadzar, d’où celui de Ketzer est dérivé, du fait que les Mongols appartenaient à la croyance thibétaine (des Lamas), qui s’accorde avec le manichéisme et en tire peut-être aussi son origine, et la répandirent en Europe dans le cours de leurs invasions ; ce qui explique aussi que pendant un temps assez long les termes d’hérétiques et de manichéens aient été pris pour synonymes.