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DE LA VICTOIRE DU BON PRINCIPE SUR LE MAUVAIS

de même, l’état de nature moral est un état d’hostilités mutuelles publiques contre les principes de la vertu et un état d’immoralité intérieure dont l’homme naturel doit chercher à sortir aussitôt que possible.

Or, c’est là un devoir d’un genre spécial, non des hommes envers les hommes, mais du genre humain envers lui-même. Toute espèce d’êtres raisonnables est, en effet, objectivement destinée, dans l’idée de la raison, à une fin commune, qui est de travailler à l’avènement du souverain bien, bien suprême commun à tous. Mais comme le bien moral suprême ne peut être réalisé par l’effort de la personne travaillant isolée à son propre et seul perfectionnement moral, et comme il exige au contraire une association des personnes en un Tout qui poursuive une même fin, l’organisation d’un système d’hommes bien intentionnés, dans lequel, et par l’unité duquel, peut seulement être réalisé le bien suprême : comme d’antre part l’idée de ce Tout, ou d’une république universelle gouvernée par les lois de la vertu, est une idée tout à fait différente des lois morales ordinaires (qui concernent des choses que nous savons être en notre pouvoir), puisqu’il s’agit d’opérer sur un Tout, sans qu’il nous soit possible de savoir si, comme telle, cette obligation est aussi en notre pouvoir :

    tus belli, etc. En effet, si l’on n’admet pas d’emblée qu’entre des hommes qui ne connaissent point de lois extérieures et publiques règnent en tout temps de réelles hostilités, il n’en est pas moins vrai que l’état de ces hommes (status juridicus), c’est-à-dire la situation dans laquelle, et grâce à laquelle, on les voit capables de droits (d’en acquérir et de les conserver), est un état dans lequel chacun d’eux veut être lui-même le juge de ce qui est son droit envers et contre d’autres, mais aussi où il n’a et ne fournit aux autres, relativement à ce droit, d’autre garantie que sa propre force ; ce qui est un état de guerre où il faut constamment que tous soient armés contre tous. Son autre proposition : exeundum est a statu naturali, est une conséquence de la première, car l’état de nature est une violation continuelle des droits de tous les autres hommes par la prétention qu’a chacun d’être juge en sa propre cause et de ne laisser à ces hommes, pour ce qui regarde leur bien, d’autre garantie que sa fantaisie et ses décisions arbitraires.

Kant. — Religion. 8