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LA LUTTE DU BON PRINCIPE AVEC LE MAUVAIS


mort qu’a souffert, une fois pour toutes, le Représentant de l’humanité. — Nous avons donc ici le surcroît qui s’ajoute au mérite des œuvres et que nous désirions plus haut, et c’est là un mérite à nous attribué par grâce. Car ce qui est pour nous, pendant la vie terrestre (et peut-être demeurera, dans tous les temps futurs aussi bien que dans tous les mondes), toujours en simple devenir, nous est attribué par là tout comme si nous en avions déjà la pleine possession, bien que nous n’y ayons aucun droit (d’après la connaissance empirique que nous avons de nous-mêmes)[1] ; dans la mesure où nous nous connaissons nous-mêmes (incapa-

    intellectuelle du tout, tient lieu de l’acte dans sa perfection. Mais, se demande-t-on, celui « qui n’a rien en soi de répréhensible ou en qui rien de tel ne doit se rencontrer, peut-il bien se croire justifie et continuer quand même à s’attribuer, comme châtiments, les souffrances auxquelles il se heurte dans sa marche vers un bien toujours plus grand, avouant par là-même qu’il mérite d’être puni, et qu’il a par suite une intention désagréable à Dieu ? Oui, mais seulement en la qualité de l’homme qu’il ne cesse de dépouiller continuellement. Ce qui en cette qualité (en sa qualité de vieil homme) devrait le frapper comme châtiment (je veux parler de toutes les souffrances et de tous les maux de la vie), il l’accepte avec joie, simplement pour l’amour du bien, en qualité d’homme nouveau ; ces souffrances, par conséquent, ne lui sont pas, en cette qualité et comme homme nouveau, attribuées en tant que châtiment, et tout ce qu’on veut dire en s’exprimant ainsi, c’est que tous les maux et toutes les souffrances à endurer, que le vieil homme aurait dû s’attribuer comme châtiments et que, réellement, en mourant au vieil homme, le juste s’est attribués comme tels, il les accepte volontiers en qualité d’homme nouveau, comme autant d’occasions d’apprécier et d’exercer son intention dirigée vers le bien ; et ce châtiment est lui-même l’effet, tout autant que la cause de cette intention, et par suite aussi du contentement et du bonheur moral consistant dans la conscience des progrès que l’homme fait dans le bien (et qui sont un seul et même acte avec l’abandon du mal) ; tandis que dans l’ancienne intention, ces mêmes maux auraient non seulement été des châtiments, mais auraient même dû être ressentis comme tels, parce que, même considérés comme de simples maux, ils n’en sont pas moins opposés directement à ce que l’homme prend, dans cette intention, pour son unique but comme bonheur physique.

  1. [Une aptitude à recevoir ce don (Empfänglichkeit), voilà seulement ce que nous pouvons nous attribuer en partage ; or la décision par laquelle un supérieur octroie à son subordonné un bien par rapport auquel celui ci n’a que la réceptivité (morale), c’est ce que l’on appelle grâce*.]

    * Cette remarque est une addition de la 2e éd.