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AVANT-PROPOS


toujours élevée à l’espoir d’un monde futur ». Aussi paraît-il plus conforme à l’humaine nature et à la pureté des mœurs « de fonder l’espoir du monde à venir sur les sensations d’une âme bien faite que de donner inversement pour base à notre conduite morale l’espérance d’un autre monde (1)[1] ».

Nous assistons ainsi, dans les Songes d’un visionnaire, à ce changement de méthode qui va conduire Kant au système de la Raison pure : ce sont toujours les mêmes objets qui l’occupent, mais il suivra pour les atteindre une marche opposée à la marche traditionnelle, qui ne pouvait pas aboutir, espérant assurer à la métaphysique, qui jamais ne disparaîtra, une croissance fructueuse. Mais il savait que ses lecteurs seraient tout à fait désorientés par l’exposition de ces vues nouvelles et ne pourraient pas « les comprendre (2)[2] » avant qu’il eût nettement séparé les domaines de la science des domaines de la croyance, renfermé la première dans ses véritables limites, qui sont celles de l’expérience, et rétabli la foi dans ses possessions éternelles : Dieu, la liberté et la vie future. La science ayant usurpé le domaine de la croyance pour y dogmatiser de façon arbitraire, il fallait jeter bas sa domination et réinstaller la foi à sa place, afin d’affranchir l’homme de tous les dogmatismes aussi préjudiciables qu’illégitimes (3)[3]. C’est la tâche préliminaire qu’eut pour but de mener à bien la Critique de la Raison pure.

« Que puis-je savoir ? » s’y demande Kant. Toute connaissance, pour nous, « commence avec l’expérience (4)[4] » et provient de l’application des lois de notre entendement aux données de l’intuition. Elle ne peut donc trouver

  1. (1) Träume eines Geistersehers, p. 67.
  2. (3) Träume eines Geistersehers, Avertissement, p. 4.
  3. (3) Critique de la Raison pure, 2° préface, passim.
  4. (4) Id., p. 39.