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ANALYSE CRITIQUE


losophe 1[1]. Or on ne voit pas comment, entendue ainsi et distinguée du sens moral, elle peut figurer parmi les dispositions subjectives qui préparent ou secondent en nous l’influence des idées morales. Sauf ce point, Kant a fort bien montré quel concours apportent à l’idée rationnelle du devoir certaines dispositions de notre nature, comme le sentiment moral qui est inséparable de cette idée, comme cet amour des hommes qui est inné dans tous les cœurs, comme enfin ce sentiment de respect que la dignité de notre être ne manque pas d’exciter en nous ; combien par conséquent il importe de cultiver ces auxiliaires de la moralité, ou comment cela même est pour nous un devoir.


Ce ne sera pas sortir de la question de la méthode que d’examiner les règles qu’il assigne ensuite à l’éthique 2[2]. La première est de n’admettre qu’un seul principe d’obligation pour chaque devoir. Ici Kant se laisse évidemment entraîner par son goût pour les principes et les démonstrations simples. Cette simplicité donne à la science une singulière précision et une extrême rigueur ; mais souvent aussi elle lui retranche une partie de ses moyens. Sans doute il serait indigne d’un philosophe de vouloir dissimuler sous l’abondance des preuves la faiblesse de chacune d’elles et de chercher à tromper par là les esprits ; mais, si plusieurs principes également solides concourent à établir une vérité, pourquoi s’interdirait-on de les réunir en un faisceau et d’entourer ainsi d’une plus abondante lumière la vérité qu’on veut faire pénétrer dans les âmes ? Dira-t-on que cela n’est pas possible en morale, mais pourquoi ? La morale, comme la nature humaine, n’est pas simple, mais complexe. Le suicide, par exemple, comme Kant l’a si bien montré, est la violation d’un devoir de l’homme envers lui-même ; cela empêche-t-il qu’il ne soit aussi un abandon de nos devoirs envers nos semblables ? Et dès lors, si l’on veut traiter complètement la question, suffira-t-il de le condamner au nom de la morale individuelle, mais ne faudra-t-il pas le flétrir aussi au nom de la morale sociale ? En se

  1. 1 Trad. franç., p. 46, ou plus haut, p. xi.
  2. 2 Voyez plus haut, p. xii-xiv.