Page:Kant - Doctrine de la vertu.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
lxiii
DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


donc louer Kant d’avoir si nettement distingué et séparé le champ de la législation civile et celui de la législation morale, et, tout en soumettant plus sévèrement qu’aucun autre moraliste, la liberté à la dernière, de l’avoir affranchie des entraves et du despotisme de la première. Chacune d’elles gagnerait infiniment à se renfermer dans ses vraies limites : elles seraient mieux respectées et plus fidèlement obéies. Qu’on ne craigne pas que Kant, en partant du principe de la liberté, resserre l’action de la loi civile en de trop étroites limites : la société politique étant seule capable de garantir la liberté et les droits de tous, et par conséquent étant exigée par la justice, tout ce qui est nécessaire au maintien de cette société est juste par là même, et peut être légitimement exigé de chacun de ses membres. C’est ainsi que la bienfaisance devient, dans une certaine mesure, un devoir de justice publique 1[1]. Mais il ne faut pas qu’au nom des intérêts de l’État on étouffe la liberté de l’individu et les droits qui en dérivent, car c’est justement pour en assurer l’exercice que l’État est institué. Voilà ce que la théorie de Kant a l’avantage de rap peler aux législateurs de la société politique, tout en évitant les excès de ce que l’on appelle aujourd’hui l’individualisme. Qu’on ne craigne pas non plus qu’elle matérialise trop le droit : comme je l’ai déjà dit, Kant ne le sépare pas de la morale, et il prêche le respect du droit comme une vertu ; il ne veut que distinguer le rôle du législateur civil de celui du législateur moral ou de la conscience. Il ne nie pas sans doute l’influence du second dans le domaine du premier : il sait mieux que personne combien elle y est importante et nécessaire ; mais il ne pense pas qu’on puisse décréter la vertu, comme l’égalité des impôts, et il attend plus pour elle de la liberté de la conscience que de la tyrannie de la loi.


Il y a un autre point sur lequel j’ai besoin de revenir, parce que j’en trouve ici une application nouvelle, et que cette nouvelle application confirme pleinement les observations, cri-

  1. 1 Voyez sur ce point mon Examen critique de la Doctrine du droit, p. lxxxviii et p. clxxxvi.