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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


garde, ne sépare point le droit de la morale, puisque sa doctrine du droit n’est autre chose qu’un ensemble de devoirs et par conséquent une partie de la morale même, tout aussi bien que sa doctrine de la vertu. Les devoirs qu’il examine sous ce dernier titre diffèrent de ceux qu’il a examinés sous le premier ; mais les uns et les autres sont également des obligations morales ; et, s’il réserve à la doctrine de la vertu le titre d’éthique, parce qu’elle ne s’occupe que des devoirs qui relèvent uniquement de la législation intérieure et du tribunal de la conscience, il n’oublie pas que ce respect des droits d’autrui qui n’est pas seulement extérieur et forcé, mais intérieur et libre, est lui-même une vertu. Lui reprochera-t-on d’absoudre à un point de vue ce qu’il condamne à un autre 1[1] ? Qu’est-ce à dire ? N’est-il pas vrai que l’intempérance, par exemple, quand elle ne nuit qu’à celui qui s’y livre, ne peut être considérée comme une atteinte portée aux droits d’autrui, et par conséquent, dans le langage de Kant, comme un devoir de droit ? Et n’est-il pas vrai aussi que, si elle n’est pas condamnable a ce titre, elle l’est comme contraire à la vertu ? Mais à ce compte, dira-t-on, l’intempérance est donc juste ! Je réponds avec Kant que, dès qu’elle ne cause de dommage à personne qu’à moi, elle n’est contraire à aucun devoir de justice ; mais que, comme la justice n’est pas notre seul devoir, elle n’est pas pour cela légitime. Veut-on prendre les mots de justice et de droit dans un sens plus général, comme exprimant tout ce qui est légitime aux yeux de la loi morale ; il est très-vrai en ce sens que je n’ai pas le droit de me livrer à l’intempérance, fût-elle même inoffensive pour autrui ; mais ce n’est plus là qu’une question de mots. Ce n’est donc qu’en chicanant sur les mots que l’on peut adresser à Kant l’objection de Leibnitz contre Puffendorf : « Il est impossible d’admettre que les actions qui ne sortent pas du for intérieur

  1. 1 Voyez l’article qu’a publié récemment M. Paul Janet, dans la Revue critique de législation et de jurisprudence (tome vi, p. 39), sur la Philosophie du droit dans la doctrine de Kant. Je n’ose le louer ici, tant il est bienveillant pour moi ; mais, quoique d’accord avec l’auteur sur presque tous les points qu’il discute, je ne crois pas qu’il ait justement apprécié la valeur de la distinction établie par Kant entre le droit et la vertu.