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DE SCHULE.


rellement le plus grossier fanatisme et enlève ainsi toute influence à la saine raison, dont cependant l’auteur s’est efforcé de maintenir les droits. — Le concept pratique de la liberté n’a dans le fait rien du tout à voir avec le concept spéculatif, qui reste entièrement livré aux métaphysiciens. En effet il peut m’être tout à fait indifférent de savoir d’où provient originairement l’état où je me trouve au moment d’agir ; il me suffit de connaître ce que j’ai maintenant à faire. La liberté n’est ainsi qu’une supposition pratique nécessaire, ou une idée sans laquelle je ne pourrais accorder aucune valeur aux ordres de la raison. Le sceptique même le plus opiniâtre avoue que, quand il s’agit de l’action, toutes les difficultés sophistiques touchant une apparence universellement trompeuse doivent s’évanouir. De même le fataliste le plus résolu, qui reste fataliste tant qu’il se livre à la pure spéculation, doit, dès qu’il s’agit pour lui de sagesse et de devoir, agir toujours comme s’il était libre. — Aussi bien cette idée produit-elle réellement le fait qui y correspond, et elle seule d’ailleurs est capable de le produire. Il est difficile de dépouiller entièrement l’homme. L’auteur, après avoir justifié la conduite de chaque homme, si absurde qu’elle puisse paraître aux autres, par le principe de sa disposition particulière, dit p. 137 : « Je consens à perdre (expression téméraire) tout ce qui peut me rendre heureux dans ce monde et dans l’autre, s’il n’est pas vrai que tu eusses agi d’une manière tout aussi absurde que tel autre, si tu avais été à sa place. » Mais, comme, d’après ses propres assertions, la plus entière conviction dans un moment donné ne peut nous assurer que, dans un autre moment, quand la connaissance aura été poussée plus loin, la vérité d’aujourd’hui ne deviendra pas l’erreur d’alors, comment peut-il aller jusqu’à prendre un engagement aussi hasardé ? — C’est que, sans vouloir se l’avouer à lui-même, il suppose dans le fond de son âme que l’entendement a la faculté de déterminer son jugement d’après des principes objectifs qui aient une valeur constante, et qu’il n’est pas soumis au mécanisme de causes déterminantes purement subjectives ; par conséquent il admet toujours la liberté de la pensée, sans laquelle il n’y a pas de raison. De même, lorsque, dans la conduite de sa vie, de l’honnêteté de laquelle je ne doute pas, il veut agir conformément aux lois éternelles du devoir et s’élever au-dessus du