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DOCTRINE DE LA VERTU





ARTICLE III.


De l’abrutissement de soi-même par l’usage immodéré de la boisson ou de la nourriture.


§ 8.


Le vice qui consiste dans cette sorte d’intempérance n’est point ici jugé d’après le dommage qu’il cause à l’homme, ou d’après les douleurs corporelles et même les maladies qu’il lui attire ; car ce serait alors un principe de bien-être et de commodité[1] (par conséquent de bonheur), qui nous ferait résister à ce vice, et un pareil principe ne peut jamais fonder un devoir, mais seulement une règle de prudence ; du moins ne serait-ce pas le principe d’un devoir direct.

L’intempérance animale dans la jouissance des aliments est un abus de nos moyens de jouissance qui entrave ou épuise la faculté que nous avons d’en faire un usage intellectuel. L’ivrognerie[2] et la gourmandise[3] sont les vices qui se placent sous cette rubrique. Dans l’état d’ivresse l’homme ressemble plutôt à une brute qu’à un homme ; en se gorgeant de nourriture et de boisson, il se rend incapable pour un certain temps d’actions qui exigent de l’adresse et de la réflexion dans l’emploi de ses facultés. — Il est évident que c’est violer un devoir envers soi-même que de se mettre dans un pareil état. Le premier de ces deux états d’abrutissement, qui ravalent l’homme au-dessous même de la nature animale, est ordinairement l’effet de boissons

  1. Behaglichkeit.
  2. Versoffenheit.
  3. Gefrässigkeit.