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INTRODUCTION.


certitude, ou même en probabilité. Il faut que ces raisons, formant une série unique de principes et de conséquences, s’élèvent jusqu’à la raison suffisante : elles ne peuvent prouver qu’à cette condition. — Et pourtant c’est là le procédé ordinaire de l’art oratoire.

2o On ne doit point chercher la différence de la vertu et du vice dans le degré suivant lequel on pratique certaines maximes, mais seulement dans la qualité spécifique de ces maximes (dans leur rapport avec la loi) ; en d’autres termes, ce fameux principe (d’Aristote) que la vertu consiste dans un juste milieu entre deux vices opposés, est faux[Note de l’auteur 1]. Proposera-t-on, par exemple, une bonne économie domestique comme le milieu à suivre entre deux vices, la prodigalité et l’avarice : si on la considère comme une vertu, on ne peut lui assigner pour origine ni l’amoindrissement successif du premier de ces deux vices (arrivant à l’épargne), ni l’augmentation des dépenses restreintes par le second, comme si, partant de points opposés,



  1. Les formules ordinaires et en quelque sorte classiques en morale : medio tutissimus ibis ; omne nimium vertitur in vitium ; est modus in rebus, etc. ; medium tenuere beati ; virtus est medium vitiorum et utrinque reductum, ces formules expriment une sagesse insipide, qui n’a point de principes déterminés ; car ce milieu à tenir entre deux extrêmes, qui peut me l’indiquer ? L’avarice (comme vice) ne se distingue pas de l’économie (comme vertu), en ce qu’elle pousse celle-ci trop loin, mais elle a un tout autre principe (une tout autre maxime), qui est de placer la fin de l’économie domestique, non dans la jouissance de son bien, mais uniquement dans la simple possession, à l’exclusion de toute jouissance. De même le vice de la prodigalité ne consiste pas dans une jouissance démesurée de son bien, mais dans cette fausse maxime, qui n’admet d’autre fin que l’usage d’une chose, sans songer à sa conservation.