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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


non dans l’espoir d’une récompense, ou à fuir le vice, parce qu’il est méprisable, et non par crainte des châtiments. C’est donc précisément pour empêcher qu’une pareille idée ne se glisse dans l’imagination des enfants que Kant veut qu’on cherche de bonne heure à leur inculquer de saines notions en matière religieuse. Sans doute ils ne sauraient comprendre toutes les idées religieuses, mais on peut cependant leur en inculquer quelques-unes 1[1] ; seulement elles doivent être peu n ombreuses, plutôt négatives que positives 2[2], et toujours liées aux idées morales. Ainsi qu’on évite de faire de la religion, par l’abus des formules, une affaire de mémoire et d’imita tion, une pure singerie 3[3], et, par celui des pratiques religieuses, un calcul intéressé 4[4]. Pénétrez bien les enfants de cette idée, que toutes les pratiques religieuses ne sont que des préparations aux bonnes œuvres, mais non de bonnes œuvres, et qu’on ne peut plaire à l’Être suprême qu’en devenant meilleur. Voilà à quelles conditions et avec quelle réserve Kant admet l’intervention des idées religieuses dans l’éducation des enfants. Grâce à cette réserve et à ces conditions, elles auront une très-heureuse influence ; car, si la religion sans la morale n’est qu’un culte superstitieux, la morale sans la religion, c’est-à-dire sans l’idée de Dieu, manque d’influence et d’efficacité. « Les reproches de la conscience, dit-il, resteront sans effet, si on ne les considère pas comme les représentants de Dieu, dont le siège sublime est bien élevé au-dessus de nous, mais qui a aussi établi en nous son tribunal. » Il définit ici la religion : « la loi qui réside en nous, en tant qu’elle reçoit son influence sur nous d’un législateur et d’un juge, ou l a morale appliquée à la connaissance de Dieu. »

On le voit, la conclusion des observations de Kant sur l’éducation est celle même de sa philosophie morale : dériver la religion de la morale, et non la morale de la religion. Le but que s’était proposé ce grand philosophe était de fonder une morale qui ne fût ni théologique ni athée. Tout en la rattachant à l’idée de Dieu comme à son suprême couronnement, e n faire une doctrine indépendante de tous les dogmes, et la

  1. 1 p.244.
  2. 2 Ibid. et p. 245.
  3. 3 P. 242.
  4. 4 P. 243 et 244.