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ANALYSE CRITIQUE


Il ne paraît pas plus admettre en matière d’éducation qu’en matière de religion et de philosophie l’intervention des gouvernements. C’est donc aux particuliers qu’il s’adresse ; c’est d’eux qu’il attend la réforme et le salut.

Est-ce à dire qu’il soit partisan de l’éducation privée. Il se déclare au contraire en faveur de l’éducation publique. La première a le grave inconvénient d’augmenter les défauts de famille, au lieu de les corriger. La seconde non —seulement prépare mieux les enfants à se conduire un jour dans le monde de manière à se faire aimer de leurs semblables et à exercer sur eux une certaine influence ; mais encore, en supprimant tout privilège, en effaçant toute distinction autre que celle du mérite, en accoutumant chacun à mesurer son droit sur celui d’autrui, elle forme le vrai caractère du citoyen. « Cette éducation, dit Kant 1[1], est la meilleure image de la vie civique ; » elle en est aussi le meilleur apprentissage. Mais l’éducation publique vantée par Kant n’est point du tout celle de l’État ; c’est celle qui, au lieu de se faire sous le toit paternel par le moyen d’un précepteur, a lieu dans l’école, mais dans une école libre et suivant de libres méthodes.

L’expérience seule peut nous apprendre à reconnaître les meilleures. « On se figure ordinairement, dit fort bien Kant 2[2], et ces paroles ont d’autant plus d’autorité dans sa bouche qu’il a lui-même plus accordé aux méthodes à priori, on se figure ordinairement qu’il n’est pas nécessaire de faire des expériences en matière d’éducation, et que l’on peut juger par la raison seule si une chose sera bonne ou non. Mais on se trompe beaucoup en cela, et l’expérience enseigne que nos tentatives ont souvent amené des effets tout opposés à ceux que l’on attendait. Notre philosophe rend ici un éclatant hommage à l’Institut de Dessau. Autant il témoigne d’antipathie pour les écoles normales de l’Autriche, autant il montre de sympathie pour cette école expérimentale, « la première, dit-il 3[3], qui ait commencé à frayer la voie, » et « la seule où les maîtres eussent la liberté de travailler d’après leurs propres méthodes et leurs propres plans, et où ils fussent unis entre eux ainsi qu’avec tous les savants de l’Allemagne. »

  1. 1 P. 201. — Cf.p.200.
  2. 2 P. 198.
  3. 3 Ibid.