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ANALYTIQUE DU SUBLIME.


jugement esthétique, la nature ne peut être considérée comme une puissance, par conséquent comme dynamiquement sublime, qu’autant qu’elle est considérée comme un objet de crainte.

Mais on peut considérer un objet comme redoutable[1] sans avoir peur devant lui ; c’est à savoir quand nous le jugeons de telle sorte que nous nous bornons à concevoir le cas où nous voudrions lui faire quelque résistance, et que nous voyons qu’alors toute résistance serait vaine. Ainsi, l’homme vertueux craint Dieu sans avoir peur devant lui, parce qu’il ne pense pas avoir à craindre un cas où il voudrait résister à Dieu et à ses ordres. Mais pour toute cette sorte de cas qu’il ne regarde pas comme impossible en soi, il déclare Dieu redoutable.

Celui qui a peur ne peut pas plus juger du sublime de la nature, que celui qui est dominé par l’inclination et le désir ne peut juger du beau. Il fuit l’aspect de l’objet qui lui inspire cette crainte, car il est impossible de trouver de la satisfaction dans une crainte sérieuse. Aussi le sentiment que nous éprouvons quand nous nous sentons délivrés d’un danger est-il un sentiment de joie[2]. Mais cette joie suppose que nous ne serons plus exposés à ce

  1. Furchtbar.
  2. Froseyn.