Page:Kant - Critique de la raison pure, traduction Barni, Flammarion, 1900, tome 1.djvu/18

Cette page n’a pas encore été corrigée
10
CRITIQUE DE LA RAISON PURE


mépris absolu, et la dame, repoussée et abandonnée^de tous, s’écrie avec Hécube :

Modo maxima rerum,

Tôt generis natisque potens,...

Nunc trahor exnl, inops.

{Ovide, Métam.)

Sa domination fut d’abord despotique, sous le règne des dogmatiques. Mais, comme ses lois portaient encore les traces de l’ancienna barbarie, des guerres intestines la firent tomber peu à peu en pleine anarchie, et les sceptiques, espèces de nomades qui ont en horreur tout établissement fixe sur le sol, rompaient de temps en temps le lien social. Mais, comme par bonheur ils étaient peu nombreux, ils ne pouvaient empêcher les dogmatiques de chercher à reconstruire à nouveau [l’édifice], sans avoir d’ailleurs de plan sur lequel ils fussent d’accord entre eux. A une époque plus récente, une certaine physiologie de l’entendement humain (doctrine de l’illustre Locke) sembla un instant devoir mettre un terme à toutes ces querelles et prononcer définitivement sur la légitimité de toutes ces prétentions. Mais, quoique cette prétendue reine eût une naissance vulgaire, étant sortie de l’expérience commune, et que cette extraction dût rendre ses exigences justement suspectes, il arriva cependant, grâce à cette généalogie, fausse en réalité, qu’on lui avait fabriquée, quelle continua à affirmer ses prétentions. Tout retomba ainsi dans le vieux dogmatisme vermoulu, et, par suite, dans le mépris auquel on avait voulu soustraire la science. Aujourd’hui que toutes les voies (à ce que Ton croit) ont été tentées en vain, il règne dans les sciences le dégoût et un parfait indilTérentisme : [doctrine] mère du chaos et de la nuit, mais dans laquelle est aussi le principe, ou du moins le prélude d’une transformation prochaine et d’une rénovation de ces sciences où un zèle mal entendu avait mis l’obscurité, la confusion, la stérilité. Il est bien vain, en effet, de vouloir affecter de Yindifférence •pour des recherches dont l’objet ne saurait être indifférent h la nature humaine. Aussi ces prétendus indiffcrentisles, quelque soin qu’ils prennent de se rendre méconnaissables eu substituant un langage populaire à celui de l’école, ne manquent-ils pas^ dès qu’ils pensent un peu, de retomber dans ces mêmes assertions métaphysiques pour lesquelles ils affichaient tant do mépris. Cependant, celte indifférence qui s’élève au sein de toutes les sciences, au moment môme de leur épanouisseuK’nt, et qui atteint justement celles dont la connaissance