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conçu. Si donc on peut dire justement que les sens ne trompent pas, ce n’est point parce qu’ils jugent toujours exactement, c’est parce qu’ils ne jugent pas du tout. Par conséquent c’est uniquement dans le jugement, c’est-à-dire dans le rapport de l’objet à notre entendement qu’il faut placer la vérité aussi bien que l’erreur, et partant aussi l’apparence, qui nous invite à l’erreur. Il n’y a point d’erreur dans une connaissance qui s’accorde parfaitement avec les lois de l’entendement. Il n’y a pas non plus d’erreur dans une représentation des sens (puisqu’il n’y a point de jugement). Nulle force de la nature ne peut d’elle-même s’écarter de ses propres lois. Aussi ni l’entendement ni les sens ne sauraient-ils se tromper d’eux-mêmes (sans l’influence d’une autre cause). L’entendement ne le peut pas ; car, dès qu’il n’agit que d’après ses lois, l’effet (le jugement) doit nécessairement s’accorder avec elles. Quant aux sens, il n’y a point en eux de jugement, ni vrai, ni faux. Or, comme nous n’avons point d’autres sources de connaissances que ces deux-là, il suit que l’erreur ne peut être produite que par une influence inaperçue de la sensibilité sur l’entendement. C’est ce qui arrive lorsque des principes subjectifs de jugement se rencontrent avec les principes objectifs et les font dévier de leur destination[1]. Il en est ici comme d’un corps en mouvement : il suivrait toujours de lui-même la ligne droite dans la même direction, si une autre force, en agissant en même temps sur lui sui-

  1. La sensibilité, soumise à l’entendement, en tant qu’elle lui fournit l’objet auquel celui-ci applique sa fonction, est la source des connaissances réelles. Mais cette même sensibilité, en tant qu’elle influe sur l’acte même de l’entendement et le détermine à juger, est le principe de l’erreur.