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les noumènes les seuls concepts restants) signifient encore quelque chose, puisque, pour qu’elles aient un rapport à quelque objet, il faut quelque chose de plus que l’unité de la pensée, à savoir une intuition à laquelle elles puissent être appliquées ? Toutefois, le concept d’un noumène, pris d’une manière simplement problématique, n’en reste pas moins, je ne dis pas seulement admissible, mais inévitable comme concept limitant la sensibilité. Mais alors, loin que le noumène soit un objet intelligible pour notre entendement, l’entendement même auquel il appartiendrait est un problème, c’est-à-dire que nous ne pouvons nous faire la moindre idée de la faculté qu’aurait l’entendement de connaître son objet, non plus discursivement par le moyen des catégories, mais intuitivement, dans une intuition non sensible. Notre entendement ne reçoit donc ainsi qu’une extension négative, c’est-à-dire que, s’il n’est pas limité par la sensibilité, mais s’il la limite au contraire en appelant noumènes les choses en soi (envisagées autrement que comme phénomènes), il se pose aussi à lui-même des limites qui l’empêchent de les connaître par le moyen des catégories, et par conséquent de les concevoir autrement que comme quelque chose d’inconnu.

Je trouve cependant dans les écrits des modernes les expressions de monde sensible et de monde intelligible[1] employées dans un tout autre sens, dans un sens qui s’é-

  1. « Il ne faut pas substituer à cette expression celle de monde intellectuel, comme on a coutume de le faire dans les ouvrages allemands ; car il n’y a que les connaissances qui soient intellectuelles ou sensitives. Les objets seuls peuvent être appelés intelligibles (a). »

    (a) Cette note, dont j’abrège la dernière phrase pour n’en conserver que ce qui s’applique à notre langue et peut se traduire en français, est une addition de la seconde édition.

    J. B.