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ANALYSE DE LA CRITIQUE


cation empirique qui s’applique aux phénomènes, tandis que les premières rompent le fil de l’expérience pour recourir à certains principes intellectuels, voici ce que l’on trouve du côté du dogmatisme :

1* Un certain intérêt pratique, auquel prend part de bon cœur tout homme sensé : « Que le monde, dit Kant (p. 78), ait un commencement, que mon moi pensant soit d’une nature simple et partant incorruptible, qu’il soit en même temps libre dans ses actions volontaires et qu’il échappe à la contrainte de la nature, qu’enfin l’ordre entier des choses qui constituant le monde dérive d’un être premier, duquel tout emprunte son unité et son harmonie ; ce sont là autant de pierres fondamentales de la morale et de la religion. L’antithèse nous enlève ou semble du moins nous enlever tous ces appuis.

2° Un certain intérêt spéculatif. Chaque thèse a l’avantage de nous offrir un point d’arrêt où nous pouvons rattacher la chaîne des phénomènes et de leurs conditions de manière à l’embrasser dans sa totalité, tandis que, dans l’antithèse, la question pour chacun d’eux est toujours à recommencer et qu’elle reste en ce sens sans solution. Il y a donc à ce point de vue, en faveur du dogmatisme, une sorte d’intérêt architectonique,

3° Un intérêt de popularité, qui n’est pas certainement pour le dogmatisme le moindre titre de recommandation, et qui s’explique lui-même par l’avantage précédent : le commun des intelligences trouve plus commode de s’arrêter à un point fixe que de remonter toujours du conditionnel à la condition sans pouvoir jamais trouver de repos. Kant ajoute plus loin à cette cause celle qui résulte de l’intérêt pratique.

Voyons maintenant quels sont les avantages par lesquels l’empirisme peut disputer la palme au dogmatisme. Il faut reconnaître que, au point de vue de l’intérêt pratique, il a une réelle infériorité : « S’il n’y a pas, dit Kant (p. 80), un être premier distinct du monde, si le monde est sans commencement et par conséquent aussi sans auteur, si la volonté n’est pas libre et si l’âme est indivisible et corruptible comme la matière, les idées morales mêmes et leurs principes perdent toute valeur, et s’évanouissent avec les idées transcendentales, qui forment leurs appuis théorétiques. » Mais, en revanche, au point de vue de l’intérêt spéculatif, l’empirisme reprend la supériorité. N’est-ce pas