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DE LA RAISON PURE


le fil de la nature et du destin ? Y a-t-il enfin une cause suprême du monde, ou les choses de la nature et leur ordre forment-ils le dernier objet où nous devions nous arrêter dans toutes nos recherches ? Ce sont là des questions pour la solution desquelles le mathématicien donnerait volontiers toute sa science ; car celle-ci ne saurait satisfaire en lui le besoin le plus important, celui de connaître la fin suprême de l’humanité. »

Mais quel parti prendre au milieu de ces arguments pour et contre, entre lesquels la raison se voit partagée ? Bien que Kant se soit servi plus haut du mot « jeu » pour désigner cette dialectique, il n’admet pas qu’on la regarde comme une vaine fantaisie et qu’on se montre indifférent au résultat du procès. D’un autre côté, on ne saurait reculer devant la lutte que soulèvent les problèmes qu’il s’agit de résoudre. Qu’y a-t-il donc à faire ? « Il ne reste, suivant notre philosophe (p. 77) qu’à réfléchir sur l’origine de cette lutte pour voir si par hasard un simple malentendu n’en serait pas la cause, et si, ce malentendu une fois dissipé, les prétentions orgueilleuses de part et d’autre ne feraient pas place au règne tranquille et durable de la raison sur l’entendement et les sens. »

Mais, avant d’entreprendre cette explication fondamentale, Kant juge à propos de se placer d’abord au point de vue de l’intérêt que nous pouvons avoir à suivre telle ou telle solution, et de rechercher de quel côté se trouve pour nous le plus grand intérêt. « Si cette recherche, dit-il (ibid.), ne décide rien par rapport au droit litigieux des deux parties (car ce n’est pas ici la pierre de touche logique de la vérité que nous consultons, mais simplement notre intérêt), elle aura du moins l’avantage de faire comprendre pourquoi ceux qui prennent part à cette lutte se tournent plutôt d’un côté que de l’autre sans y être déterminés par aucune connaissance supérieure de l’objet. » — « Elle expliquera aussi, ajoute-t-il, le zèle ardent de l’une des parties et la froide affirmation de l’autre, et pourquoi l’on applaudit avec joie à la première, tandis que l’on se montre irrévocablement prévenu contre la seconde. »

Or, si l’on désigne sous le nom de dogmatisme les thèses des quatre antinomies, et sous celui d’empirisme leurs antithèses, parce que celles-ci suivent un principe uniforme qui résout les idées transcendentales touchant l’univers dans le même mode d’expli-