Page:Kant - Critique de la raison pure, I-Intro.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
lxxv
DE LA RAISON PURE


des événements du monde, et renoncer à la liberté, comme à une illusion qui offre sans doute à la raison un point d’arrêt dans la recherche des causes, mais qui, en revanche, rompt le fil de toutes les règles et livre le monde à l’empire du hasard.

Quatrième antinomie.

Reste la quatrième antinomie. Thèse : Il y a dans le monde quelque chose qui, soit comme en faisant partie, soit comme sa cause, est un être absolument nécessaire. — Antithèse : Il n’existe nulle part aucun être absolument nécessaire ni dans le monde, ni hors du monde, comme en étant la cause.

Preuve de la thèse.

Voici la preuve de la thèse. Supposez qu’il n’y ait dans le monde rien qui soit absolument nécessaire, les changements mêmes qui s’y produisent ne s’expliqueraient plus : ils sont en effet soumis à des conditions dont ils sont les effets nécessaires, et l’existence de tout conditionnel donné suppose une série complète de conditions jusqu’à l’inconditionnel absolu, qui seul est absolument nécessaire. Il faut donc qu’il existe quelque chose d’absolument nécessaire pour qu’un changement existe comme sa conséquence. Mais ce nécessaire est-il dans le monde, ou en dehors du monde ? Il faut qu’il soit dans le monde ; car ce n’est qu’à cette condition qu’il peut être la cause des changements qui s’y produisent, puisque tout changement arrive dans le temps et que par conséquent la cause qui le produit doit être aussi dans le temps. Il doit donc y avoir dans le monde quelque chose d’absolument nécessaire, que ce soit la série entière du monde, ou une partie de cette série.

Preuve de l’antithèse.

Pour avoir la preuve de l’antithèse, il suffit de renverser la preuve de proposition précédente. Supposez qu’il y ait dans le monde un être nécessaire, ou qu’il soit lui-même cet être nécessaire, ou bien il y aurait dans la série de ses changements un commencement qui serait absolument nécessaire, c’est-à-dire sans cause, ce qui est contraire à la loi même de la causalité ; ou bien la série elle-même serait sans aucun commencement, et, bien que contingente et conditionnelle dans toutes ses parties, elle serait absolument nécessaire et inconditionnelle, ce qui est contradictoire. Que si, au lieu de placer cette existence nécessaire dans le monde, on la suppose en dehors du monde, on n’est pas plus avancé ; car, pour que cette cause du monde pût agir en lui, il faudrait que sa causalité s’exerçât dans le temps et qu’elle rentrât ainsi elle-même dans l’ensemble des phénomènes, ce qui est contraire à l’hypothèse. Il n’y a donc ni