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ANALYSE DE LA CRITIQUE


façons : ou bien il réside simplement dans la série totale, dont, par conséquent, tous les membres sans exception sont conditionnels et dont l’ensemble seul est absolument inconditionnel ; ou bien il est une partie de la série, à laquelle sont subordonnés tous les autres membres de cette série, mais qui elle-même n’est soumise à aucune autre condition. Dans ce second cas, le premier terme de la série s’appelle, pour la première idée, soit le commencement, soit les limites du monde ; pour la seconde, le simple ; pour la troisième, la spontanéité absolue ou la liberté ; pour la dernière, la nécessité naturelle absolue (p. 41).

L’alternative qui vient d’être indiquée est précisément celle où la raison se trouve placée dans le conflit qui s’élève en elle sur les problèmes cosmologiques. Kant désigne sous le nom d’antithétique de la raison pure l’exposition de cette antinomie, ainsi que la recherche de ses causes et de ses résultats. Elle doit répondre aux questions suivantes (p. 44) : 1 » Quelles sont proprement les propositions où la raison pure est inévitablement soumise à une antinomie ; 2° quelles sont les causes de cette antinomie ; 3° la raison peut-elle trouver, au milieu de ce conflit, un chemin qui la conduise à la certitude, et de quelle manière ?

Mais, avant d’entreprendre de résoudre ces questions, Kant s’applique à bien caractériser cette espèce de dialectique dont il s’agit ici. Il ne veut pas qu’on la confonde avec la sophistique. Ce n’est point ici un jeu artificiel consistant à mettre aux prises des arguments arbitraires sur des questions oiseuses ; mais c’est, sur des problèmes que toute raison humaine rencontre nécessairement dans sa marche, un conflit qu’il est impossible d’éviter, de quelque manière qu’on s’y prenne, parce qu’il a son principe dans la nature même de la raison. On peut bien montrer que ce principe n’est autre chose qu’une illusion dogmatique, mais cette illusion elle-même est inévitable, et si l’on peut s’en rendre compte et la rendre ainsi inoffensive, on ne saurait la détruire.

Il résulte aussi de là que, dans l’escrime dialectique à laquelle donne lieu ce débat, la victoire appartient toujours au parti auquel il est permis de prendre l’offensive, et que celui qui est forcé de se défendre doit nécessairement succomber. « Aussi, ajoute Kant (p. 45), des champions alertes, qu’ils combattent pour la bonne ou pour la mauvaise cause, sont-ils sûrs de remporter la