Page:Kant - Critique de la raison pure, I-Intro.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
lxviii
ANALYSE DE LA CRITIQUE


de conscience qui en est la condition, de telle sorte que la conclusion est nécessairement sophistique (per sophisma figuræ dictionis). Il est bien vrai que par cela seul que je dis je pense, je ne puis me concevoir autrement que comme sujet, mais cette proposition identique ne me révèle absolument rien sur le mode de mon existence ; et je ne puis la subsumer sous la majeure, puisque l’idée de sujet n’y a pas le même sens.

La psychologie rationnelle, qui entreprend de prouver par de simples concepts la substantialité et par suite la permanence de l’âme après cette vie, ne repose donc que sur une confusion (v. p. 17. — Cf. p. 435). Elle transforme à tort en connaissance de l’objet ce qui n’est qu’une condition logique de la pensée du sujet (l’unité du je pense) ; ses conclusions sont donc illusoires. Celle de la critique est au contraire que « nous ne pouvons connaître, de quelque manière que ce soit, la nature de notre âme, en ce qui concerne la possibilité de son existence séparée en général. » Que l’on ne se récrie pas contre la rigueur de cette conclusion, et qu’on ne s’en alarme pas outre mesure. Si le spiritualisme est ainsi convaincu d’impuissance à démontrer sa thèse, le matérialisme ne l’est pas moins (Cf. p. 400), et la porte reste ouverte pour de meilleurs arguments. « D’ailleurs, la preuve purement spéculative n’a jamais pu avoir la moindre influence sur la raison commune de l’humanité. Cette preuve ne repose que sur une pointe de cheveu, si bien que l’école elle-même n’a pu la maintenir qu’en la faisant tourner sans fin sur elle-même comme une toupie, et qu’elle ne saurait y voir une base solide sur laquelle on puisse élever quelque chose. »

Deuxième classe de raisonnements dialectiques : antinomies de la raison pure — Critique de la cosmologie rationnelle.

Passons maintenant de la psychologie rationnelle à la cosmologie rationnelle. Ici se manifeste un nouveau phénomène de la raison humaine (p. 31). Dans la psychologie rationnelle, l’apparence est toute d’un côté, du côté du spiritualisme (que Kant appelle aussi le pneumatisme) ; la thèse contraire, celle du matérialisme, n’en reçoit pas la moindre des concepts rationnels. Mais à l’égard des problèmes que la cosmologie rationnelle tente de résoudre, ces concepts produisent une double apparence, d’où résulte une lutte de la raison avec elle-même. Celle-ci se trouve placée entre une thèse et une antithèse, appuyées sur des arguments d’égale puissance qui leur donnent une égale apparence, et ce conflit d’arguments contraires, mais également rationnels,