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DE LA RAISON PURE


à-dire sur des idées. » Mais c’est surtout à l’égard des choses morales qu’il proclame le mérite de cette méthode : « En effet, dit-il (ibid.), si, à l’égard de la nature, c’est l’expérience qui nous donne la règle et qui est la source de la vérité, à l’égard des lois morales, c’est l’expérience (hélas !) qui est la mère de l’apparence, et c’est se tromper grossièrement que de tirer de ce qui se fait les lois de ce qui doit se faire, ou de vouloir les y restreindre. »

Cette digression sur la philosophie platonicienne que j’ai dû rapporter à peu près dans toute son étendue, à cause de son importance, nous révèle déjà la tendance morale de la philosophie critique ; cette tendance s’accuse elle-même dans ces paroles par lesquelles Kant, mettant fin à des considérations qui, « convenablement présentées, font en réalité la vraie gloire du philosophe, » déclare qu’il s’agit à présent d’un travail beaucoup moins brillant, mais qui n’est pourtant pas sans mérite : il s’agit de déblayer et d’affermir le sol qui doit porter le majestueux édifice de la morale (p. 376). »

La digression qui précède avait été amenée par le besoin de justifier le sens que Kant donne au mot idée ; il invoque ici, en finissant, l’appui de tous les vrais philosophes : « Je supplie, s’écrie-t-il (p. 377), ceux qui ont la philosophie à cœur (ce qui dit plus qu’on ne semble le croire ordinairement), je les supplie, s’ils se trouvent convaincus par ce que je viens de dire et par ce qui suit, de prendre sous leur protection l’expression d’idée ramenée à son sens primitif, afin qu’on ne la confonde plus désormais avec les autres expressions dont on a coutume de se servir pour désigner indiscrètement les divers modes de représentation, au grand préjudice de la science. »

Les idées sont donc les concepts rationnels auxquels ne peut correspondre aucun objet donné par les sens. Ces concepts sont transcendants, en ce sens qu’ils dépassent les limites de l’expérience ; et comme on ne saurait leur trouver d’objet qui leur soit adéquat, on dit justement en ce sens que ce ne sont que des idées. Mais ils n’ont cependant rien d’arbitraire ; car ils nous sont donnés par la nature même de la raison ; et, s’ils dépassent l’expérience, ils ne s’en rapportent pas moins à l’expérience, qu’ils servent, non plus simplement à rendre possible,