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DE LA RAISON PURE


et quelles sont, dans ce cas, les illusions qui peuvent se glisser dans les raisonnements dont la majeure est tirée de la raison pure ? Ce sont là des questions que la dialectique aura à résoudre ; il s’agissait ici simplement de montrer que la raison est une faculté originale, essentiellement distincte de l’entendement pur. Voyons maintenant quels sont les concepts que produit cette faculté.

Des concepts de la raison pure ou des idées.

Les concepts de la raison pure se distinguent de ceux de l’entendement par ce caractère que, tout en servant à consommer l’unité de l’expérience, ils sortent des limites de l’expérience, et que, par conséquent, aucune expérience ne peut jamais leur être adéquate. Aussi Kant les désigne-t-il sous le nom d’idées, qu’il emprunte à la langue de Platon, comme il a emprunté l’expression de catégories à celle d’Aristote.

« Platon, » en effet, dit-il (p. 372), dans un passage qui mérite d’être cité textuellement, « Platon se servit du mot idée de telle sorte qu’on voit qu’il entendait par là quelque chose qui non-seulement ne dérive pas des sens, mais dépasse même les concepts de l’entendement dont s’est occupé Aristote, puisque l’on ne saurait rien trouver dans l’expérience qui y corresponde. Les idées sont pour lui les types des choses mêmes, et non pas de simples clefs pour des expériences possibles, comme les catégories. Dans son opinion, elles dérivent de la raison suprême, d’où elles ont passé dans la raison humaine ; mais cette dernière se trouve actuellement déchue de son état primitif, et ce n’est qu’avec peine qu’au moyen de la réminiscence (qui s’appelle la philosophie) elle peut rappeler ses anciennes idées, aujourd’hui fort obscurcies… Platon voyait très-bien que notre faculté de connaître sent un besoin beaucoup plus élevé que celui d’épeler les phénomènes pour les lier synthétiquement et les lire ainsi dans l’expérience, et que notre raison s’élève naturellement à des connaissances trop hautes pour qu’un objet, donné par l’expérience, puisse jamais y correspondre, mais qui n’en ont pas moins leur réalité et ne sont pas pour cela de pures chimères. »

Kant, pour mieux faire ressortir la pensée de Platon et la sienne propre, cite comme exemple l’idée de la vertu, dont on ne saurait trouver le type dans aucune expérience, mais qui n’est pas pour cela quelque chose de chimérique : « en effet, dit-il (p. 373), tout jugement sur la valeur morale des actions n’est