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DE LA RAISON PURE


pas inutile de jeter encore un coup d*œil sur la carte du pays que nous allons quitter, et de nous demander d’abord si nous ne pourrions pas, ou peut-être même si nous ne devrions pas nous contenter de ce qu’il nous offre, dans le cas, par exemple, où il n’y aurait point au delà de terre où nous puissions nous fixer ; et ensuite quels sont nos titres à la possession de ce pays, et comment nous pouvons nous y maintenir contre toute prétention ennemie. » Les questions que Kant pose en ces termes figurés ont été résolues dans le cours de l’analytique ; il ne s’agit plus que d’en résumer la solution, avant de clore cette partie de la critique de la raison pure.

Le point où ont abouti toutes les investigations précédentes et qu’il faut avoir toujours présent à l’esprit, c’est que, si l’entendement tire de lui-même certains concepts ou certains principes, sans les emprunter à l’expérience, ces concepts ou ces principes, tout à priori qu’ils soient, n’ont cependant d’autre usage pour lui que celui de l’expérience : ils servent à la rendre possible, soit comme principes constitutifs, soit comme principes régulateurs ; et ils n’ont de valeur pour nous qu’à ce titre. Ce point est d’une si grande importance, il a de si graves conséquences que Kant ne croit pas pouvoir trop insister. Un concept ne peut avoir de sens qu’en se rapportant à quelque objet donné, et un objet ne peut nous être donné qu’au moyen de l’intuition empirique, dont l’intuition pure n’est que la forme. « Tous les concepts, dit Kant (p. 307), et avec eux tous les principes, tout à priori qu’ils puissent être, se rapportent donc à des intuitions empiriques, c’est-à-dire aux données de l’expérience. Les concepts mathématiques n’échappent pas eux-mêmes à cette loi. Quoique l’objet dont s’occupe cette science soit une création à priori de notre esprit, ses concepts seraient pour nous sans signification si nous ne pouvions en montrer l’application dans les objets sensibles, ou si nous ne pouvions nous les rendre sensibles, comme nous le faisons, par exemple, en géométrie, par la construction des figures, laquelle est un phénomène présent au sens, bien que produit à priori. Il en est de même pour toutes les catégories et tous les principes purs de l’entendement. Otez les conditions sensibles auxquelles ils s’appliquent, ils sont sans objet, et par cela seul qu’il n’y a plus d’exemple qui puisse nous rendre saisissable ce qui est proprement pensé dans ces concepts, ils n’ont plus de