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ANALYSE DE LA CRITIQUE

Cette explication le conduit à une autre, à celle de ce paradoxe mis en avant dans l’Esthétique transcendentale, à savoir qu’au moyen du sens intérieur le sujet ne se saisit lui-même qu’autant qu’il est affecté par lui-même, c’est-à-dire tel qu’il s’apparaît et non tel qu’il est en soi. Il semble qu’il y ait une contradiction à admettre que le sujet puisse être affecté par lui-même ; rien n’est pourtant plus réel. Le sens intérieur, qui ne contient que la forme de toute intuition possible, ne renferme aucune intuition déterminée : pour qu’une intuition de ce genre puisse se produire, il faut une certaine liaison entre les éléments divers qu’elle comprend, et cette liaison ne peut résulter que de cet acte de l’entendement que Kant a désigné précédemment sous le nom de synthèse transcendentale de l’imagination ou de synthèse figurée, et par lequel l’entendement détermine le sens intérieur suivant une certaine synthèse qui constitue l’unité de l’aperception. C’est ainsi, par exemple, que je détermine mon sens intérieur en tirant une ligne dans mon imagination toutes les fois que je veux me représenter le temps. Le sujet est bien ici réellement affecté par lui-même. Le même phénomène se reproduit en tout acte d’attention : l’entendement y détermine toujours le sens intérieur conformément à la liaison qu’il a en vue (v. la note de la page 182) ; et cette liaison, il ne la trouve que dans le sens lui-même, mais c’est lui qui, en affectant ce sens, la produit. Il en est de même dans tous les cas où le sens intérieur est déterminé conformément à une certaine unité d’aperception. Cela admis, il n’y a rien d’étonnant que, par le sens intérieur, notre sujet ne se saisisse pas lui-même tel qu’il est en soi. Il est dans le même cas que les sens extérieurs : si l’on accorde que ceux-ci, ne nous faisant percevoir les objets que suivant la manière dont nous sommes affectés, ne nous les font pas connaître en eux-mêmes, mais seulement tels qu’ils nous apparaissent, il faut admettre la même chose à l’égard du sens intérieur, puisque par ce dernier le moi n’a conscience de lui-même qu’autant qu’il est affecté par lui-même d’une certaine manière.

S’en suit-il que ma propre expérience ne soit qu’un phénomène ou une simple apparence ? Non, l’existence est sans doute déjà donnée dans le je pense, puisque celui-ci exprime précisément l’acte par lequel je la détermine ; mais, comme il ne peut la déterminer qu’au moyen des éléments divers qui lui sont fournis