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DE LA RAISON PURE


s’est pas même déterminé par des causes subjectives qui nous paraissent suffisantes, il n’est alors qu’une simple opinion. Lorsque le jugement nous paraît subjectivement suffisant, mais que nous le tenons en même temps pour objectivement insuffisant, c’est-à-dire quand nous croyons avoir des motifs suffisants pour l’admettre, mais sans pouvoir le démontrer par des raisons objectives, il porte alors le nom de croyance ou de foi. Enfin quand il est suffisant à tous les points de vue, subjectivement et objectivement, il s’appelle savoir. Le savoir équivaut à la certitude.

De l’opinion.

L’opinion, sous peine de n’être qu’un vain jeu de l’imagination, une fiction arbitraire, doit toujours s’appuyer sur le savoir ; mais elle n’est jamais permise dans les jugements qui viennent de la raison pure ou dans les sciences qui, reposant uniquement sur des jugements universels et nécessaires, et par conséquent à priori, impliquent une entière certitude. « Aussi est-il absurde, dit Kant (p. 381), de parler d’opinion dans les mathématiques pures : là il faut ou savoir, ou s’abstenir de tout jugement. Il en est de même dans les principes de la moralité : on ne doit pas risquer une action sur la simple opinion que quelque chose est permis, mais il faut le savoir. »

De la foi ou croyance.

Quant à la foi ou à la croyance, c’est-à-dire à ces jugements que nous croyons devoir admettre, bien que nous les sentions objectivement insuffisants, elle n’est en général de mise qu’au point de vue pratique, c’est-à-dire au point de vue de l’action, laquelle peut se rapporter soit à l’utilité, soit à la moralité.

Foi pragmatique.

Dans le second cas, on a la foi morale, sur laquelle nous reviendrons tout à l’heure ; dans le premier, ce que Kant appelle une foi pragmatique, c’est-à-dire une foi que l’on admet accidentellement comme servant de fondement aux moyens à employer en vue d’une certaine fin particulière. Ainsi, pour nous servir de l’exemple employé ici par Kant, il faut qu’un médecin fasse quelque chose pour un malade qui est en danger, mais dont il ne connaît pas la maladie : après avoir examiné les phénomènes, il juge, mais sans en être parfaitement sûr, que cette maladie est une phthisie, et il agit en conséquence. Sa croyance, même pour son propre jugement, est purement accidentelle. Souvent, il est vrai, en pareil cas, on s’exprime avec autant d’assurance que si l’on était fermement convaincu ; mais il y a une excellente