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DE LA RAISON PURE


principe de celle de telle ou telle de ses conséquences. Or le premier mode peut bien être employé dans certaines sciences où l’hypothèse est de mise : on admet alors, par analogie, que, si toutes les conséquences que l’on a cherchées s’accordent bien avec un principe admis, toutes les autres conséquences doivent aussi s’accorder avec ce principe ; on admet d’ailleurs cette hypothèse sans pouvoir la convertir en vérité démontrée, parce qu’il faudrait pour cela pouvoir apercevoir toutes les conséquences possibles d’un principe admis, ce qui est au-dessus de nos forces. Mais cette méthode ne jurait convenir aux preuves transcendentales, où l’hypothèse ne peut être admise, et qui, sous peine de n’être rien, doivent être absolument démonstratives. Le second mode est à la vérité tout à fait concluant : il suffit en effet qu’une seule fausse conséquence puisse être tirée d’un principe pour que ce principe soit faux ; mais il ne peut être à sa place que dans les sciences, comme les mathématiques, où il est impossible de substituer le subjectif de nos représentations à l’objectif, c’est à-dire à la connaissance de ce qui est dans l’objet. Dans le cas opposé, qui est précisément celui des propositions transcendentales de la raison pure, il ne peut être permis de justifier ses assertions par la réfutation du contraire ; car il peut alors arriver « ou bien que le contraire d’une certaine proposition répugne aux conditions subjectives de la pensée, sans répugner à l’objet, ou bien que deux propositions ne se contredisent l’une l’autre que sous une condition subjective, qui est faussement regardée comme objective, et que, comme la condition est fausse, toutes deux puissent être fausses, sans que de la fausseté de l’une on puisse conclure à la vérité de l’autre (p. 354). » Il faut donc ici que chacun établisse sa thèse directement, et non en réfutant celle de l’adversaire, afin qu’on voie ce que chacune des deux parties peut alléguer en faveur de ses prétentions rationnelles. Ainsi l’œuvre de la critique devient possible et même facile.

À ce point de vue, il est vrai, la philosophie de la raison pure n’a qu’une utilité négative : elle n’est point un organe qui serve à étendre nos connaissances, elle est une discipline qui en détermine les limites ; et, au lieu de découvrir la vérité, elle se borne à prévenir l’erreur. Mais il faut bien admettre pourtant qu’il doit y avoir quelque part une source de connaissances