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DE LA RAISON PURE

Kant compare (p. 329) la raison à une sphère dont le diamètre, comme celui de la terre, peut être trouvé par la courbe de l’arc de sa surface, mais qui, comme le globe terrestre, fait l’effet d’une surface plane s’étendant à l’infini ; le sceptique, à un homme à qui l’expérience, corrigeant l’apparence sensible, aurait appris que la terre doit avoir des bornes, mais qui, ignorant sa forme, serait incapable de déterminer sa circonscription ; le philosophe critique, à celui qui est parvenu à en mesurer la circonférence. Le degré qui sert à mesurer la sphère de la raison, ce sont les propositions synthétiques à priori, et la circonscription de cette sphère est celle même de l’expérience, en dehors de laquelle il n’y a plus pour la raison d’objet réel de connaissance.

Kant, rendant ici un nouvel hommage à David Hume, reconnaît en lui (p. 330) le plus ingénieux des sceptiques et celui qui a le mieux montré l’influence que peut avoir la méthode sceptique pour provoquer un examen fondamental de la raison ; mais il lui reproche de s’être arrêté à ce second pas : ce philosophe a été l’un des géographes de la raison humaine, mais il n’a pas su en déterminer exactement la circonscription et les limites. Il a donc laissé un troisième pas à faire, qui est celui de la critique. Une fois parvenu à ce dernier point, l’esprit humain connaît ses légitimes possessions et n’a plus à craindre aucune querelle. Il a trouvé le port.

La critique nous révèle le secret de notre ignorance à l’endroit des objets de la raison pure ; mais ne laisse-t-elle pas au moins le champ ouvert aux hypothèses ? Cette nouvelle question conduit Kant à rechercher les règles de la discipline à laquelle doit être soumise la raison pure par rapport aux hypothèses. C’est l’objet de la troisième partie de la méthodologie.

Du légitime emploi de l’hypothèse.

Un champ illimité est ouvert aux rêves de l’imagination : nous pouvons feindre tout ce que bon nous semble ; mais nous ne saurions tenir les rêves de notre imagination pour de légitimes hypothèses. Pour qu’une hypothèse puisse être légitimement admise comme principe d’explication, ou avoir une valeur scientifique, deux conditions sont nécessaires :

Première condition.

La première, c’est qu’elle s’appuie sur quelque chose qui ne soit pas à son tour imaginaire, mais qui soit parfaitement certain, c’est-à-dire qui soit réellement donné ou qui rentre dans les conditions de l’expérience possible. Autrement, ne reposant sur