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ANALYSE DE LA CRITIQUE


(pag. 287), représenter à priori l’intuition qui lui correspond… Ainsi je construis le concept du triangle en représentant l’objet correspondant à ce concept, soit par la simple imagination, dans l’intuition pure, soit même, d’après celle-ci, sur le papier, dans l’intuition empirique, mais dans les deux cas tout à fait à priori, sans en avoir tiré le modèle de quelque expérience. » La construction d’un concept exige donc une intuition originairement pure, qui, comme intuition, soit celle d’un objet particulier (par exemple d’un certain triangle), mais qui, comme construction d’un concept, c’est-à-dire d’une représentation générale (du concept du triangle en général), exprime quelque chose d’universel, qui s’applique à toutes les intuitions possibles appartenant à un même concept (à toutes les espèces possibles de triangle).

La connaissance philosophique procède tout autrement : au lieu de considérer, comme la connaissance mathématique, le général dans le particulier, elle considère le particulier uniquement dans le général. C’est ce que Kant exprime, en disant qu’elle est une connaissance rationnelle par concepts, tandis que la connaissance mathématique est une connaissance rationnelle par construction des concepts.

Telle est, selon lui, la différence essentielle de ces deux espèces de connaissances rationnelles. Elle ne repose pas, comme on le pense d’ordinaire, sur celle de leur matière ou de leurs objets, mais elle a son principe dans leur forme. « Ceux-là, dit Kant (pag. 288), ont pris l’effet pour la cause, qui ont cru distinguer la philosophie des mathématiques en disant qu’elle a simplement pour objet la qualité, tandis que celui des mathématiques est la quantité. C’est la forme de la connaissance mathématique qui fait que cette connaissance se rapporte uniquement à la quantité. Il n’y a en effet que le concept de la quantité qui se laisse construire, c’est-à-dire représenter à priori dans l’intuition ; les qualités ne se laissent représenter dans aucune autre intuition que dans l’intuition empirique… Ainsi on peut faire de la forme conique un objet d’intuition sans le secours d’aucune expérience et d’après le seul concept, tandis que la couleur d’un cône devra être donnée d’avance dans telle ou telle expérience. » Kant fait remarquer, d’ailleurs, que la philosophie traite de la quantité aussi bien que les mathématiques