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DE LA RAISON PURE


cipline à toutes les autres tendances de notre nature ? Dans le fait elle a toujours échappé jusqu’ici à une pareille humiliation. En voyant son air imposant et solennel, personne ne pouvait la soupçonner de substituer dans un jeu frivole les images aux concepts et les mots aux choses. Et pourtant elle a tellement besoin d’une discipline qui réprime son penchant à s’étendre au delà des étroites limites de toute expérience possible et la préserve ainsi des plus fâcheux écarts, que toute la philosophie de la raison pure n’a d’autre but que cette utilité négative. Lorsque la raison est appliquée à l’usage de l’expérience, ses principes se trouvent alors continuellement soumis à une épreuve qui leur sert de pierre de touche ; et, dans ce cas, elle n’a pas besoin de discipline : elle la trouve dans l’usage même auquel elle s’applique. Mais, comme elle est naturellement poussée à quitter le sûr chemin de l’expérience pour se lancer avec de simples concepts dans un monde d’illusions et de prestiges, il suit qu’une discipline est nécessaire pour réprimer en elle ce penchant et les erreurs qui en résultent. Quelle sera donc cette discipline de la raison pure ? Il ne s’agit plus ici que de la méthode qui lui doit être prescrite à ce point de vue ; car, quant au contenu même de ses connaissances, l’examen en a été fait suffisamment dans la théorie élémentaire.

Il faut convenir qu’en cherchant, comme elle le fait, à s’étendre au moyen de simples concepts, la raison se trouve encouragée dans cette tentative par l’exemple des mathématiques ; celles-ci donnent en effet le plus éclatant exemple d’une extension de la raison pure par elle-même et sans le secours de l’expérience. Elle se flatte naturellement d’avoir toujours le même bonheur qu’elle a eu dans ce cas particulier. Il importe donc beaucoup de savoir si la même méthode qui, dans les mathématiques, conduit à une certitude apodictique, peut y conduire aussi dans la philosophie, ou si la méthode dogmatique peut être assimilée à la méthode mathématique. C’est la première question que Kant entreprend ici de résoudre.

Différence de la connaissance mathématique et de la connaissance philosophique.

Il faut d’abord reconnaître la distinction qui existe entre la connaissance mathématique et la connaissance philosophique.

La connaissance mathématique est une connaissance rationnelle qui s’opère par le moyen de la construction des concepts. Qu’est-ce que construire un concept ? « C’est, répond Kant