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cxiv
ANALYSE DE LA CRITIQUE


ratio), consiste en ce qu’au lieu de chercher à déterminer comme il convient les fins de la nature par la voie de l’investigation physique, nous les lui imposons violemment en nous appuyant sur la réalité d’une intelligence suprême qui nous est cependant inaccessible. On ne saurait éviter ces deux inconvénients qu’en considérant simplement l’idée de la cause suprême comme un principe régulateur, sans prétendre pénétrer par là dans un ordre de choses qui nous est absolument fermé. Restreinte à cette application, cette idée est utile autant qu’exacte ; en dehors de cet usage, nous nous jetons dans l’incompréhensible et nous nous condamnons nécessairement au vertige.

Telle est la conclusion à laquelle aboutit la dialectique de la raison pure. Cette conclusion confirme, suivant Kant, une assertion qui pouvait paraître hardie au premier aspect, mais qui se trouve maintenant, suivant lui, pleinement justifiée : c’est que, comme dans les questions élevées par la raison pure, il ne s’agit pas de la nature des choses, mais de celle de la raison même, ou de sa constitution interne, toutes ces questions doivent pouvoir être résolues, et que l’excuse qui se tire des bornes de notre connaissance ne saurait être ici de mise. Kant explique cette assertion en prenant pour exemple la question théologique.

« Demande-t-on d’abord, dit-il (p. 273), s’il y a quelque chose de distinct du monde qui contienne le principe de l’ordre du monde et de son enchaînement suivant des lois générales, la réponse est celle-ci : Oui sans doute. En effet, le monde est une somme de phénomènes ; il doit donc y avoir pour ces phénomènes un principe transcendental, c’est-à-dire un principe que l’entendement pur puisse seul concevoir. Demande-t-on ensuite si cet être est une substance, si cette substance a la plus grande réalité, si elle est nécessaire, etc. ; je réponds que cette question n’a pas de sens. En effet, toutes les catégories au moyen des quelles je cherche à me faire un concept d’un objet de ce genre n’ont d’autre usage que l’usage empirique, et elles n’ont plus aucun sens quand on ne les applique pas à des objets d’expérience possible, c’est-à-dire au monde sensible. En dehors de ce champ, elles ne sont que des titres de concepts que l’on peut bien accorder, mais par lesquels on ne saurait rien comprenais. Demande-t-on enfin, si nous ne pouvons pas du moins concevoir cet être distinct par analogie avec les objets de l’expérience, je