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DE LA RAISON PURE


tout autre espèce, aux explications de ce qui appartient simplement au sens intime ; on ne se permet plus aucune de ces vaines hypothèses de génération, de destruction et de palingénésie des âmes, etc. ; la considération de cet objet du sens intime est ainsi tout à fait pure et sans mélange de propriétés hétérogènes. » Mais si, au lieu de considérer cette idée simplement comme le schème d’un concept régulateur, je prétends connaître ainsi la nature de l’âme et résoudre la question de sa spiritualité, j’oublie que cette question même n’a pas de sens, puisque, « par un concept de ce genre, je n’écarte pas simplement la nature corporelle, mais en général toute nature, c’est-à-dire les prédicats de quelque expérience possible, par conséquent toutes les conditions qui pourraient servir à concevoir un objet à un tel concept, en un mot tout ce qui seul permet de dire que ce concept a un sens. » — Quant à la seconde idée de la raison pure, ou au concept du monde en général, l’antinomie même à laquelle elle donne lieu sert à prouver qu’elle ne doit pas être considérée comme un principe constitutif, mais simplement comme un principe régulateur.

Enfin la dernière et la plus haute des idées de la raison spéculative, l’idée de Dieu, est en quelque sorte le principe régulateur par excellence, en nous permettant de lier les choses du monde suivant des lois téléologiques et d’arriver par là à la plus grande unité systématique possible pour nous : elle peut toujours être utile à la raison en lui ouvrant des vues nouvelles dans le champ des expériences, et elle ne saurait jamais lui nuire, mais à la condition que nous ne nous en servions que comme d’un principe régulateur. Que si nous négligeons de la restreindre à cet usage, et que nous lui attribuions une réalité objective en croyant pénétrer avec elle dans un domaine transcendant, il en résulte de graves inconvénients. Le premier, auquel Kant applique le titre du sophisme que les anciens dialecticiens appelaient la raison paresseuse (ignava ratio), c’est d’engager la raison à se livrer au repos, comme si elle avait accompli entièrement son œuvre, au lieu de pousser toujours plus loin son investigation de la nature. Nous nous abstenons ainsi de chercher les causes des phénomènes dans les lois générales du mécanisme de la nature, pour en appeler directement aux insondables décrets de la sagesse suprême. Un autre inconvénient signalé par Kant sous le nom de raison renversée (perversa


I. B