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ANALYSE DE LA CRITIQUE

Mais aussi, par cela même que son application à l’expérience demeure indéterminée (je présente ici la pensée de Kant de la manière la plus propre à en concilier autant que possible les diverses expressions, qui, d’une page à l’autre, semblent se contredire, mais qui au fond s’accordent parfaitement), les principes qui en découlent ne doivent être considérés que comme des maximes de la raison, destinées à servir ses intérêts par rapport à une certaine perfection possible de la connaissance. Au point de vue objectif, il peut y avoir entr’elles une contradiction réelle ; mais, si on les considère simplement comme des maximes, la contradiction s’évanouit : il n’y a plus en présence que « des intérêts divers de la raison donnant lieu à des divergences dans la manière de voir. Dans le fait, la raison n’a qu’un unique intérêt, et le conflit de ses maximes n’est qu’une différence et une limitation réciproque des méthodes ayant pour but de donner satisfaction à cet intérêt (p. 249). »

Kant explique sa pensée dans les lignes suivantes, qui me paraissent avoir trop d’importance pour ne pas être textuellement reproduites :

« De cette manière l’intérêt de la diversité (suivant le principe de la spécification) peut l’emporter chez tel raisonneur, et l’intérêt de l’unité (suivant le principe de l’agrégation) chez tel autre. Chacun d’eux croit tirer son jugement de la vue de l’objet et le fonde uniquement sur un plus ou moins grand attachement à l’un des deux principes, dont aucun ne repose sur des fondements objectifs, mais seulement sur l’intérêt de la raison, et qui par conséquent mériteraient plutôt le nom de maximes que celui de principes. Quand je vois des savants disputer entre eux sur la caractéristique des hommes, des animaux ou des plantes, et même des corps du règne minéral, les uns admettant, par exemple, des caractères nationaux particuliers et fondés sur l’origine, ou encore des différences décisives et héréditaires de famille, de race, etc., tandis que d’autres se préoccupent de cette idée que la nature en agissant ainsi a suivi un plan identique, et que toute différence ne repose que sur des accidents extérieurs, je n’ai alors qu’à prendre en considération la nature de l’objet, et je comprends aussitôt qu’elle est beaucoup trop profondément cachée aux uns et aux autres pour qu’ils puissent en parler d’après une véritable connaissance. Il n’y a autre chose ici que le