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ANALYSE DE LA CRITIQUE


régulateur, nous le transformons en un usage constitutif, c’est à-dire que nous prenons les idées transcendentales pour des concepts de choses réelles, et alors nous nous égarons dans un monde imaginaire. C’est là sans doute une illusion naturelle et inévitable : ces lignes qui convergent vers un point commun semblent en effet partir d’un objet réel placé en dehors des bornes de toute expérience possible, de même que les objets paraissent être derrière le miroir où ils se reflètent ; mais, si nous ne pouvons échapper à l’illusion, nous pouvons faire du moins qu’elle cesse de nous tromper, et c’est là précisément le service que nous rend la critique. Ce service d’ailleurs n’est pas le seul : tout en découvrant l’apparence qui nous abuse ici, elle nous révèle aussi le véritable et légitime usage des idées qui la produisent. C’est là un point sur lequel Kant insiste comme sur l’un des principaux résultats de la dialectique transcendentale.

Les idées de la raison pure servent à donner à notre connaissance une unité sans laquelle celle-ci ne formerait pas un système, mais un simple agrégat ; le rôle de la raison dans la connaissance est en effet simplement de lui imprimer un caractère systématique (p. 231). Cette unité systématique n’est qu’une idée : nous ne la tirons pas de la nature, nous interrogeons au contraire la nature d’après elle ; mais cette idée nous est indispensable pour ramener à l’unité d’un seul et même principe la diversité des connaissances fournies par l’entendement, et pour diriger en conséquence celui-ci dans la voie même de l’expérience, en le conduisant, par le fil d’une règle universelle, vers les cas qui ne sont pas donnés. C’est ainsi, par exemple, que, malgré l’hétérogénéité que nous montrent au premier aspect les divers phénomènes d’une même substance, et qui nous y font supposer d’abord presque autant de forces qu’il s’y manifeste d’effets, nous sommes conduits à chercher, derrière cette diversité apparente, l’identité cachée, et à réduire de plus un plus le nombre des forces ou (s’il s’agit de l’âme humaine) des facultés que nous avons d’abord distinguées, en nous efforçant de les ramener les unes aux autres et toutes ensemble à une force ou à une faculté fondamentale. L’idée de cette unité vers laquelle nous tendons est donc un principe destiné à donner à notre connaissance le caractère systématique qu’exige la raison. Ce n’est pas un principe constitutif, comme les concepts de l’entendement,