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ci
DE LA RAISON PURE


monie des dispositions de la nature sur lesquelles on s’appuie ne concernent que sa forme, non sa matière ou sa substance, et que l’analogie avec l’art humain, qui sert ici de guide, ne peut nous fournir une autre conclusion, si tant est même que cette manière de raisonner soit réellement concluante. La théologie physique est donc par elle-même impuissante à démontrer l’existence et les attributs de Dieu d’une manière qui réponde à l’idée qu’en conçoit la raison. Mais, au lieu de reconnaître cette impuissance, elle franchit l’abîme qu’elle ne peut combler en passant tout à coup à la preuve cosmologique et avec celle-ci à la preuve ontologique, c’est-à-dire en se jetant dans la voie transcendentale qu’elle avait voulu éviter. « Ainsi, conclut Kant (p. 217), les partisans de la théologie physique ont tort de traiter si dédaigneusement la preuve transcendentale, et de la regarder, avec la présomption de naturalistes clairvoyants, comme une toile d’araignée ourdie par des esprits obscurs et subtils. Il faut toujours en revenir, malgré qu’on en ait, à la preuve ontologique, c’est-à-dire à une preuve fondée sur des concepts purement rationnels ; et, comme celle-ci est elle-même impuissante à démontrer son objet, il suit qu’il n’y a pas pour la raison spéculative de véritable démonstration de l’existence de Dieu.

Conclusion générale sur la théologie spéculative.

Telle est en effet la conclusion à laquelle aboutit la critique de la théologie spéculative. Que celle-ci suive la méthode transcendentale ou la méthode naturelle, c’est-à-dire qu’elle tente de démontrer l’existence de Dieu par de simples concepts de la raison pure ou par l’observation de la nature, et qu’elle s’arrête ainsi au déisme ou au théisme (1)[1], dans l’un et l’autre cas ses essais sont absolument infructueux : « Ils sont en eux-mêmes,

  1. (1) Voici la différence que Kant établit entre ces deux doctrines. « Celui, dit-il (p. 219), qui n’admet qu’une théologie transcendentale s’appelle un déiste, et celui qui admet aussi une théologie naturelle, un théiste. Le premier accorde que nous pouvons en tous cas connaître par la raison seule l’existence d’un être premier, mais il croit que le concept que nous en avons est purement transcendental, c’est-à-dire que nous le ne concevons que comme un être ayant toute réalité, mais sans pouvoir le déterminer avec plus de précision. Le second soutient que la raison est en état de déterminer l’objet d’une manière plus précise par analogie avec la nature, c’est-à-dire comme un être contenant par son entendement et sa volonté le principe de toutes les autres choses. Sous le nom de Dieu, celui-là se représente simplement une cause