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DE LA RAISON PURE


plication ultérieure. Elle ne peut pas plus rejeter l’un de ces principes que l’autre ; car ce n’est que grâce au premier qu’elle peut donner à l’ensemble de notre connaissance une complète unité, et le second lui permet de tenir toujours la porte ouverte à toute explication ultérieure. Ces deux principes ont donc déjà également leur rôle dans la marche de la connaissance humaine ; mais, si l’on doit les admettre ensemble, ce ne peut être qu’à titre de principes régulateurs ; car autrement ils ne pourraient subsister l’un à côté de l’autre, et il faudrait nécessairement sacrifier l’un à l’autre. Or tel est précisément le caractère de l’idéal de l’être suprême : ce n’est autre chose qu’un principe régulateur de la raison (p. 208). Mais aussi, par cela même que nous ne pouvons concevoir l’unité de la nature sans prendre pour fondement l’idée d’un être souverainement réel, il nous arrive tout naturellement d’attribuer à cette idée une réalité objective et de convertir ainsi un principe purement régulateur en un principe constitutif. L’apparence qui nous trompe ici vient donc d’une sorte de subreption transcendentale, qui est naturelle et inévitable, mais que découvre aux yeux de la critique la contradiction où elle nous jette.

Impuissance de la preuve physico-théologique.

Reste la preuve physico-théologique. Celle-ci, au lieu de partir simplement, comme la précédente, de mon existence ou de celle du monde, considérées en général comme des existences contingentes, se fonde sur la connaissance déterminée que l’expérience peut nous donner de l’ordonnance du monde, de l’ordre et de l’harmonie qui y règnent, et elle en conclut l’existence d’une cause suprême. De là le titre que Kant lui donne. C’est ce que l’on appelle vulgairement l’argument des causes finales. Si cet argument est aussi impuissant que les deux autres, il faudra renoncer à demander à la raison spéculative une preuve de l’existence de Dieu, car il n’y a pas pour elle de voie ouverte en dehors de ces trois-là.

Kant ne refuse pas toute valeur à l’argument des causes finales ; on peut même dire que nul philosophe ne lui a rendu un plus éclatant hommage.

« Cet argument, dit-il (p. 211), mérite d’être toujours rappelé avec respect. C’est le plus ancien, le plus clair et le mieux approprié à la raison commune. Il vivifie l’étude de la nature, en même temps qu’il en tire sa propre existence et qu’il y puise