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DE L’IVRESSE


le vin et la bière, ou l’extrait spiritueux connu sous le nom d’eau-de-vie ou de brandevin), mais toutes sont contre nature et artificielles. On dit de celui qui en use avec un tel excès, qu’il ne peut plus pendant un certain temps composer les représentations sensibles suivant les lois de l’expérience, qu’il est ivre ou soûl. C’est donc se soûler que de se mettre volontairement ou de propos délibéré dans un pareil état. Mais tous ces moyens doivent servir à rendre insensible au fardeau qui semble originellement s’attacher à la vie en général. L’inclination très répandue pour ce genre d’intempérance, son influence sur l’usage des facultés, méritent tout particulièrement d’entrer dans une anthropologie pratique.

Toute ivresse taciturne, c’est-à-dire celle qui n’anime pas la société et la communication respective des pensées, a quelque chose de nuisible en soi ; telle est l’ivresse par l’opium et l’eau-de-vie. Le vin et la bière, le premier purement excitant, la seconde plus nourrissante, plus propre à rassasier à la façon des aliments, jettent dans une ivresse sociable. Il y a cette différence pourtant, que l’ivresse par la bière est souvent moins spirituelle et se termine plutôt par la rêverie ; celle au contraire qui résulte du vin a un caractère jovial, bruyant et spirituellement bavard.

L’intempérance dans le boire en commun, lorsqu’elle va jusqu’à troubler les sens, est sans doute un manquement de l’homme, non seulement à l’égard de la société dont il fait partie, mais encore au point de vue du respect qu’il se doit à lui-même, lorsqu’il va jusqu’à