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prises de l’expérience, sont donc entièrement arbitraires, et ne peuvent être ni prouvées ni contredites. Je sais bien que la pensée et la volonté mettent mon corps en mouvement, mais je ne puis jamais ramener par l’analyse ce phénomène, comme expérience simple, à un autre ; je puis donc bien le constater, mais je ne puis le voir. Que ma volonté meuve mon bras, c’est ce que je ne comprends pas plus que si l'on disait qu’elle peut arrêter la lune dans son cours ; toute la différence, c’est que j’éprouve le premier fait, tandis que le second ne m’est jamais tombé sous le sens. Je reconnais en moi, comme en un sujet vivant, des changements divers, des pensées, des volitions, etc. ; et parce que ces déterminations sont d’une autre espèce que tout ce qui constitue ma notion composée de corps, j’imagine alors à bon droit un être incorporel constant. Mais on ne peut jamais conclure de cette nature connue par expérience que cet être incorporel puisse penser aussi sans être uni à un corps. Je me trouve en rapport avec les êtres de mon espèce par le moyen de lois corporelles ; de savoir si, suivant d’autres lois d’ailleurs que j’appellerai pneumatiques, je suis en rapport immédiat avec la matière, ou si je dois l’être un jour, c’est ce que je ne puis conclure en aucune façon de ce qui m’est donné. Tous les jugements, tels que ceux qui portent sur la manière dont mon âme met mon corps en mouvement, ou dont elle est en rapport maintenant ou dont elle pourra l’être à l’avenir avec d’autres êtres de son espèce, ne seront jamais que des fictions, et des fictions qui n’auront jamais la valeur de celles qu’en histoire naturelle on appelle hypothèses. Dans les hypothèses on n’imagine pas les forces fondamentales, on rattache seulement d’une manière convenable aux phénomènes celles qu’on connaît déjà par l’expérience, et dont la possibilité doit toujours pouvoir être prouvée. Dans le premier cas, au contraire, on admet même de nouveaux rapports fondamentaux de cause et d’effet, de la possibilité desquels on n’a pas la moindre notion ; on poétise donc d’une manière créatrice ou chimérique, comme on voudra. L’intelligibilité des différents