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Tous les hommes, suivant lui, sont également en rapport avec le monde spirituel ; seulement, tous n’en ont pas conscience ; toute la différence entre eux et lui, c’est qu’il voit son état intime ; il ne parle de cette faveur qu’avec respect (datum mihi est ex divina Domini misericordia). On voit par cet ensemble que cette faveur doit consister dans la conscience des représentations obscures que reçoit l’âme de son commerce incessant avec le monde spirituel. Il distingue en conséquence dans l’homme la mémoire extérieure et la mémoire intérieure. Il a la première comme une personne qui fait partie du monde sensible, mais il possède l’autre en vertu de sa liaison avec le monde spirituel. Tel est aussi le fondement de la différence de l’homme extérieur et de l’homme intérieur. Son privilège à lui, c’est de se voir déjà dans cette vie comme une personne en société avec les esprits, et d’en être reconnu en conséquence. Cette mémoire intérieure retient tout ce qui échappe à la mémoire extérieure, et aucune des représentations d’un homme ne se trouve perdue. Après la mort, le souvenir de tout ce qui est jamais entré dans l’âme, et de ce qui lui était caché, forme le livre complet de sa vie.

La présence des esprits ne touche, il est vrai, que son sens intime. Mais il en résulte l’excitation d’une apparence d’extériorité, et même d’une figure humaine. Le langage des esprits est une communication immédiate des idées ; mais il est toujours lié à l’apparence de la langue qu’il parle lui-même, et prend l’apparence d’un langage extérieur. Un esprit lit dans la mémoire d’un autre esprit les représentations claires de celui-ci. Ainsi les esprits voient dans Swedenborg les représentations qu’il a de ce monde, avec une intuition si claire qu’ils y sont souvent trompés, et qu’ils croient voir immédiatement ces choses ; ce qui est cependant impossible, puisqu’aucun esprit pur n’a la moindre sensation du monde corporel. En communiquant avec d’autres âmes d’hommes vivants ils n’en peuvent même avoir aucune représentation, parce que l’intérieur de ces âmes n’est pas ouvert, c’est-à-dire que leur sens intime renferme des