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ou d’opérations d’esprits, et toutes les théories touchant la nature présumée des êtres spirituels et leurs rapports avec nous, n’ont quelque poids que dans le plateau de l’espérance, et qu’elles semblent en spéculation n’avoir qu’une consistance purement aérienne. Si la solution de la question que nous examinons ne tenait pas sympathiquement à une inclination déjà établie, quel esprit raisonnable hésiterait sur la question de savoir s’il doit trouver une plus grande possibilité à reconnaître une espèce d’êtres qui n’auraient rien de semblable avec tout ce que les sens lui apprennent, qu’à rapporter quelques prétendues perceptions à l’illusion et à la fiction, qui ne sont pas insolites en plusieurs cas ?

Telle semble, en général, être aussi la cause de la croyance aux récits d’apparitions qui trouvent si largement crédit. Et même les premières illusions des prétendues apparitions d’hommes morts sont vraisemblablement sorties de l’espérance flatteuse qu’on existe encore de quelque manière après la mort, puisque alors au sein des ombres de la nuit la présomption a souvent égaré les sens, et produit de formes équivoques des illusions qui étaient d’accord avec l’opinion prédominante, d’où enfin les philosophes ont pris l’occasion d’imaginer l’idée rationnelle des esprits et de l’ériger en système. On voit bien aussi que ma prétendue théorie du commerce des esprits prend la même direction que l’inclination vulgaire : car les propositions ne s’y enchaînent, bien visiblement, que pour faire concevoir comment l’esprit de l’homme sort de ce monde[1], c’est-à-dire l’état de l’âme après la mort. Mais de la manière

  1. Le symbole de l’âme chez les anciens Égyptiens était un papillon, et le nom grec signifiait la même chose. On voit facilement que l’expérience, qui ne fait de la mort qu’une transformation, a produit et l’idée et le signe. Cela n’empêche en aucune manière la confiance en la vérité des notions qui en découlent. Notre sens intime et les jugements d’un rationnel vraisemblable (Vernunftaehnlichen), dont il est le fondement, conduisent, tant qu’ils sont sains, où conduirait la raison elle-même, si elle était plus éclairée et plus pénétrante.