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RÊVES D'UN HOMME QUI VOIT DES ESPRITS.


état d’homme n’est pour rien dans la représentation de moi-même comme esprit. Du reste, les représentations du monde spirituel, si claires et si intuitives qu’elles puissent être[1], ne suffisent pas pour en avoir conscience comme homme. D’un autre côté, la représentation de soi-même (c’est-à-dire de l’âme) comme esprit, est bien acquise par le raisonnement, mais elle n’est pour personne une notion intuitive et d’expérience.

Cette différence des représentations spirituelles et des représentations qui appartiennent à la vie corporelle de l’homme, ne peut cependant pas être regardée comme un si grand obstacle que c’en soit fait de toute possibilité d’avoir parfois conscience, même dans cette vie, des influences qui nous viendraient du monde spirituel. Elles peuvent bien, à la vérité, ne pas arriver immédiatement à la conscience personnelle de l’homme, mais

  1. On peut expliquer par une certaine espèce de dualité personnelle, celle de l’âme même par rapport au corps. Certaine philosophes croient, sans appréhender la moindre opposition, pouvoir s’en rapporter à l’état de profond sommeil quand ils veulent prouver la réalité de représentations obscures, quoiqu’on ne puisse rien affirmer à cet égard, sinon qu’au réveil nous ne nous rappelons aucune de celles que nous avons peut-être pu avoir dans le sommeil le plus profond, d’où il suit seulement qu’elles ne sont pas représentées clairement au réveil, mais non qu’elles fussent obscures quand nous dormions. Je croirais plus volontiers qu’elles ont été plus claires et plus étendues que les plus claires mêmes de l’état de veille ; c’est ce qui peut s’attendre, dans le repos parfait des sens extérieurs, d’un être aussi actif qu’est l’âme, quoique, par le fait que le corps de l’homme n’est pas senti en même temps, l’idée de ce corps (qui accompagne l’état précédent des pensées et qui peut aider à former la conscience d’une seule et même personne) fasse défaut dans l’état de veille. Les opérations de quelques somnambules, qui indiquent parfois plus d’intelligence dans cet état qu’autrement, bien qu’ils ne s’en rappellent rien au réveil, confirment la possibilité de ma conjecture sur le sommeil profond. Les rêves, au contraire, c’est-à-dire les représentations du sommeil qu’on se rappelle au réveil, ne sont pas dans ce cas. Alors, en effet, l’homme ne dort pas complètement ; il sent à un certain degré clairement, et entremêle ses opérations intellectuelles aux impressions des sens extérieurs. Il se les rappelle donc en partie, mais il n’y trouve aussi que d’informes et absurdes chimères, comme c’est inévitable, puisque les idées de la fantaisie et celles de la sensation extérieure s’y trouvent confondues.