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toujours fort douteux que les faibles notions de notre entendement n’aient pas été appliquées mal à propos à l’être suprême, puisque l’homme ne peut juger de la volonté divine qu’en partant de la convenance qu’il perçoit réellement dans le monde, ou qu’il y peut présumer par analogie, suivant l’ordre de la nature, mais qu’il ne peut raisonnablement, s’en rapportant à sa propre sagesse, dont il ferait en même temps une loi à la volonté divine, imaginer des arrangements nouveaux et arbitraires dans le monde présent ou futur.

Nous revenons au premier objet de cette méditation, et nous approchons ainsi du but proposé. S’il en est du monde spirituel et de la part qu’y prend notre âme comme l’indique ce qu’on vient de voir, rien presque ne semble plus étonnant qu’un commerce des esprits ne soit pas une affaire universelle et ordinaire, et que l’extraordinaire ne soit pas plutôt la rareté des phénomènes que leur possibilité. Cette difficulté peut cependant se résoudre assez bien, et déjà elle a été résolue en partie. Car la représentation qu’a d’elle-même, comme d’un esprit, l’âme de l’homme, par une intuition immatérielle, lorsqu’elle se considère dans ses rapports avec les êtres de même nature qu’elle, est toute différente de celle qui a lieu par la conscience lorsqu’elle se représente comme homme à l’aide d’une image qui tire son origine de l’impression des organes corporels, image qui est représentée comme un rapport avec les choses matérielles seulement. C’est sans doute le même sujet qui appartient en même temps, comme membre de l’un et de l’autre, au monde sensible et au monde intelligible ; mais ce n’est pas la même personne, parce que les représentations de l’un de ces mondes, par suite de leur nature, n’ont rien de commun avec les idées qui accompagnent les représentations de l’autre monde, et qu’ainsi ce que je pense de moi, comme esprit, ne me revient pas en mémoire comme homme, et que réciproquement mon