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précédemment admises, mon âme, à la manière dont elle est présente dans l’espace, ne différerait point d’un élément de la matière, et que l’intelligence est une propriété interne que je ne pourrais cependant pas percevoir dans ces éléments, bien qu’elle se trouvât dans tous, on ne pourrait alors donner aucune bonne raison pour nier que mon âme n’est pas une de ces substances qui constituent la matière, et que ses phénomènes particuliers ne doivent pas partir du lieu qu’elle occupe dans une machine artificielle comme le corps humain, où la réunion des nerfs aide à la faculté de penser et de vouloir. Mais alors on n’aurait plus de caractère propre, servant à la reconnaître avec certitude, et qui la distinguât du principe grossier de la nature corporelle. L’idée plaisante de Leibniz, suivant laquelle nous avalerions peut-être, avec les atomes du café, des âmes humaines futures, ne serait plus une idée pour rire. Mais alors ce moi pensant ne serait-il pas soumis au sort commun des êtres matériels ? Et, comme il aurait été tiré par hasard du chaos de tous les éléments pour animer une machine animale, pourquoi, après la cessation de cette union contingente, n’y retournerait-il pas à l’avenir ? Il est parfois nécessaire d’enrayer le penseur qui fait fausse route, par les conséquences, afin de le rendre attentif aux propositions par lesquelles il s’est en quelque sorte laissé aller au sommeil.

J’avoue que je suis très porté à affirmer l’existence de natures immatérielles dans le monde, et à ranger mon âme même parmi ces êtres[1]. Mais alors quel mystère que l’union de l’âme et du corps ? Et combien en même temps cette incom-

  1. La raison, qui m’en parait très obscure et qui restera vraisemblablement telle, s’étend aussi au principe sentant dans les animaux. Ce qui dans le monde contient un principe de vie semble être de nature immatérielle. Car toute vie repose sur la faculté intérieure de se déterminer soi-même à volonté. Le caractère essentiel de la matière consistant, au contraire, à remplir l’espace par une force nécessaire qui est limitée par une force extérieure contraire, l’état de tout ce qui est matériel est donc extérieurement dépendant et forcé, tandis que les matières qui sont actives elles-mêmes, et en vertu de leur force interne, doivent contenir le