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que les forces de leur présence extérieure, et dont on ignore absolument les propriétés internes. Il est donc hors de doute qu’une espèce de substances simples, dont les masses peuvent être agglomérées, ne pourrait s’appeler des substances spirituelles. Vous ne pourrez donc retenir la notion d’esprit que si vous concevez des êtres qui puissent aussi être présents dans un espace rempli de matière[1] ; des êtres, par conséquent, qui n’aient pas en soi la propriété de l’impénétrabilité, et qui, malgré leur nombre, ne feraient jamais un tout solide. Des êtres simples de cette espèce sont des êtres immatériels, el quand ils sont doués de raison, ils s’appellent des esprits. Mais des substances simples, dont la composition donne un tout impénétrable et étendu, sont des unités matérielles, et leur tout s’appelle matière. Ou la dénomination d’esprit n’a point de sens, ou sa signification est celle-là.

De la définition qu’implique la notion d’esprit, jusqu’à la proposition qui affirme l’existence des esprits, ou même leur simple possibilité, la distance est très grande encore. On trouve dans les écrits des philosophes de très bonnes preuves, sur lesquelles on peut s’appuyer, que tout ce qui pense doit être simple, que toute substance qui pense et raisonne est une unité de la nature, et que le moi indivisible ne peut être distribué en un tout composé de plusieurs choses réunies. Mon âme sera donc une substance simple. Mais il reste toujours à savoir, malgré cette preuve, si elle est de celles qui, réunies dans l’espace, donnent un tout étendu et impénétrable, et par conséquent

  1. On remarquera facilement que je ne parle ici que des esprits qui font partie de l’univers, et non de l’esprit infini qui en est l’auteur et le conservateur. Car la notion de la nature spirituelle du dernier est facile, parce qu’elle est purement négative, et qu’elle consiste à nier en lui les qualités de la matière, qui répugnent à une substance infinie et absolument nécessaire. Au contraire, avec une substance spirituelle, qui doit être unie à la matière, telle, par exemple, que l’âme humaine, la difficulté tient à la nécessité de concevoir leur liaison mutuelle en un tout avec des substances corporelles, et de faire cependant disparaître la seule espèce connue de liaison qui ait lieu entre des êtres matériels.