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DE L'INTELLIGENCE




§ XXXIII.


L’imagination étant plus riche et plus féconde en représentations que le sens, elle est plus animée, s’il y a passion, en l’absence d’un objet qu’en sa présence ; plus encore si la représentation d’un événement revient à l’esprit après en avoir été quelque temps chassée par des distractions. — C’est ainsi qu’un prince allemand, rude guerrier d’ailleurs, mais à sentiments élevés, avait entrepris un voyage en Italie pour se guérir d’une passion amoureuse dont une bourgeoise de sa résidence était l’objet. Mais il n’eut pas plutôt revu à son retour la demeure de cette personne, que son imagination se réveilla plus forte qu’elle n’eût été par une fréquentation assidue ; en sorte qu’il exécuta sans plus de retard une résolution qui répondit heureusement à son attente. — Cette maladie, comme effet d’une imagination poétique, est inguérissable, excepté par le mariage ; car le mariage est une vérité (eripitur persona, manet res. Lucret).

L’imagination poétique nous crée une espèce de société avec nous-mêmes, composée uniquement de phénomènes internes, mais conçue par analogie avec les externes. La nuit l’anime et l’élève au-dessus de sa valeur réelle : de même que la lune, qui fait le soir une grande figure au ciel, n’est plus en plein jour qu’un point nuageux, insignifiant. Elle extravague chez celui qui travaille avec excès dans le silence des